Heal the World [PV Lhaar]

Elle grimaça devant l'immonde mixture que l'infirmière lui apporta. Comme toutes les autres, elle allait rester sur son chevet. Lou, elle, allait attendre un vrai repas. La traqueuse ne supportait déjà plus les murs blancs et trop parfaits de l'hôpital. Il avait beau être le meilleur d'Alzen, il ne lui en donnait pas moins une nausée maladive. Comme si ce lieu allait la détruire psychologiquement autant qu'il allait la soigner physiquement.

Elle soupira, et ses yeux se perdirent dans la contemplation des bandages qui recouvraient la quasi-totalité de son ventre ainsi que son bras droit. Ils n'étaient plus teintés de rouge, comme à son arrivée ici, quelques jours plus tôt. Elle se souvenait bien de la scène.

Perdue dans le désert, sa tendre Lhaar était arrivée. Juste au bon moment. Elle l'avait empêchée de se tuer en tuant. Pleurant de rage autant que de douleur, voir bien plus, Lou s'était résignée à se laisser faire, comme une petite fille qui devait obéir à sa mère. La douceur des lèvres de sa compagne acheva de la convaincre que, cette fois, elle devait abandonner son honneur. Abandonner quoi ?

Elle sursauta et releva la tête, un léger sourire sur son visage. Après tout, sa mission n'était pas fondamentalement un échec. Bien au contraire. Ce cher Siam Pain se souviendrait à tout jamais de sa visite. Alors que, elle, elle allait juste devoir attendre. Attendre. Attendre.

Son sourire s'effaça à la pensée d'une inactivité prolongée. Un ennui terrible allait l'attendre pendant des jours, des semaines. Des mois, en vérité. Tristement, elle appuya sur le bouton d'une télécommande plate qui se trouvait près d'elle. L'écran incrusté dans le mur en face d'elle s'alluma sur une émission sphérienne idiote. Elle changea rapidement et distraitement de chaîne jusqu'à tomber sur un vieux film d'action has-been. N'ayant pas le courage de zapper davantage, elle se résigna à supporter ce spectacle navrant.

Mais elle se perdit bien vite dans ses pensées alors que son regard allait de l'horloge digitale à la fenêtre.

Ses longues journées n'étaient en vérité illuminées que par une chose...

Et la chose en question, fragile créature, entra dans la pièce après avoir frappé trois coups, sans attendre de réponse ; c'était un code dont elles avaient convenus, un peu comme la sonnerie spéciale d'un portable. La demoiselle entra en silence, comme à son habitude, en refermant précautionneusement la porte derrière elle.
Lorsque son regard rencontra celui de Lou, elle ne put s'empêcher de sourire. Pur réflexe. Puérile, certes, pas incontrôlable.

Alors qu'elle s'approchait du lit, elle saisit la télécommande qu'elle braqua sur l'écran de télévision. Ce dernier s'éteignit, les laissant dans un calme nettement moins lourd ; un calme que Lhaar aimait à partager avec sa compagne.
Elle se plaignit de la chaleur sans un mot, se contentant de déboutonner partiellement la chemise qu'elle portait puis elle se dirigea vers la fenêtre pour l'ouvrir.

La brise de fin de matinée fouetta ses longs cheveux. Elle s'assit sur le lit, près de la cuisse de Lou, avant d'enfin déposer sur la petite table ce qu'elle avait apporté. Il s'agissait d'une petite boîte, dernière technologie d'Alzen : un frigidaire miniature, aussi petit qu'une boîte à chaussures.
Ce paquet contenait une grosse tarte aux pommes ainsi qu'un plat de viande bien gratinée.

-Tiens, c'est moi qui ai tout préparé. Il y a tout ce que tu aimes.

Elle tendit sa main et replaça une mèche brune derrière l'oreille de sa compagne.

-Pauvre chérie, ils ne doivent pas bien te nourrir...

Puis, jetant un coup d'œil à son plateau.

-...vraiment pas.

Sa menotte regagna son propre corps afin de fouiller dans son petit sac à main. Quelques secondes plus tard, elle en ressortit un petit téléphone portable soigneusement emballé dans du papier cadeau. Ses yeux furent traversés d'un éclat malicieux alors qu'elle lui tendait le paquet.

-Tiens, ça va te servir, je pense.

Un large sourire, sourire naïf et navrant de la couleur d'une guimauve rose fuchsia, se dessina sur le visage de Lou. C'est plus ou moins tout ce qu'elle pouvait faire en fait, n'étant pas réellement en état de sauter au cou de Lhaar. Enfin, elle le pouvait, mais elle ne donnait pas cher de sa peau. Elle laissa sa compagne faire comme chez-elle -ce qui était un petit peu le cas, en fait-. Les yeux de la traqueuse convalescente brillèrent lorsqu'ils se posèrent sur ce qui était enfin de la VRAIE nourriture. Elle releva le regard vers Lhaar, qui venait d'observer la chose que le personnel voulait faire ingurgiter à Lou.

"L'autre jour, j'ai eu l'impression que leur espèce de soupe me parlait. Depuis, j'ai évité d'en prendre."

Elle aurait bien voulu rire, mais elle s'y refusait, par peur que son ventre n'explose de douleur. Alors, elle se contenta de ponctuer ses paroles d'un sourire enfantin, tandis que sa visiteuse lui tendait un petit paquet. Lou s'empressa de l'ouvrir de sa seule main pour le moment valide -ce qui devait être assez comique à voir-, sa main droite dormant encore pour le moment.

"Oh !"

Un nouveau téléphone. Du genre dernière génération. L'appareil brillait dans sa robe noir alors que Lou l'examinait avec soin, comme une gamine qui ouvrirait son cadeau de Noël. Son précédent téléphone avait connu un sort funeste, noyé dans le sang et dans le sable du désert. Il avait probablement fondu depuis des lustres, à dire vrai.

Elle se résigna à essayer de se redresser pour déposer ses lèvres sur celles de Lhaar, une terrible douleur lui cisaillant le dos lorsqu'elle essaya. Elle se contenta d'un merci étouffé, un peu ému.

Puis, elle fût rappelée à une triste réalité: ELLE VOULAIT MANGER.

Aussi, avec avidité, s'attaqua-t-elle férocement à la tarte aux pommes, son fruit fétiche, donc elle commençait à ressentir le manque du goût tellement habituel.

Elle s'arrêta soudainement dans son geste, avalant précipitamment. Elle tourna la tête et posa son regard sur celui de Lhaar.

"Dis, Lhaar...

Lou baissa les yeux, regardant négligemment ses pansements.

"Tu penses quoi des Karnevaliens ?"

La jeune femme haussa les sourcils avant de reprendre un visage calme et impassible. Un flash lui sauta aux yeux et défila dans sa mémoire. Elle se rappelait de cette scène dans le désert, la fin d'un combat, son arrivée un extremis avant que sa compagne tue l'un des siens. Le stratagème dont elle avait du faire preuve pour ne pas montrer ses sentiments, vis à vis de Siam mais aussi du sang qui coulait et qui l'aurait bien fait défaillir.

Oui, elle voulait sûrement parler des rebelles. Des chiens qui se jetaient sur les défenses de l'Empereur car ils n'approuvaient pas son commandement. Des monstres enragés qui savent que Sphéra est en train de s'écrouler tout doucement et qui luttent.
Des gens comme elle.

Il fallait s'attendre à ce que Lou tue l'un des siens. Mais pas devant elle, alors qu'elle ne pouvait rien faire pour défendre son congénère.
Parce que Lou ne savait pas. Si jamais elle venait à l'apprendre...Si jamais elle venait à l'apprendre, que se passerait-il au juste ? Elle était si imprévisible !
Et si elle disait la vérité, qui trahissait-elle ? Les Karnevaliens ou sa compagne ?

La jeune femme plia une jambe en équerre, le pied appuyé contre sa cuisse avant de la retenir d'une main ; Lhaar était habituée à prendre toutes les positions, même les plus étranges.

-Qu'est-ce que je pense des rebelles, plus tôt ? Que veux-tu que je pense ? Ce sont des gens comme toi et moi. Ils n'ont juste pas la même opinion que les autres. Ils ne sont pas d'accord avec Raziel.

Elle soupira et planta un regard désabusé dans les yeux de Lou.

-Je crois d'ailleurs que ce sont les seuls qui ont compris que le monde était en train de tomber...

Puis se redressa.

-Pourquoi cette question ?

Lou avait relevé la tête pour écouter avec soin le discours de Lhaar. Mais elle la rebaissa bien vite dans un soupire invisible. Sans trop savoir pourquoi. Peut-être s'était-elle attendue à un beau discours, à des révélations dignes des vieux feuilletons. En fait, elle ne savait pas réellement pourquoi elle avait parlé de ça. Enfin, si. Mais cela restait compliqué. Elle planta de nouveau ses crocs dans une part de la tarte aux pommes avant de relever les yeux vers sa compagne.

"Tu crois ?"

Elle se perdit dans la contemplation de son image qui se reflétait dans le regard de Lhaar. Elle avait bien mauvaise mine. Des douleurs la réveillaient toutes les nuits, l'empêchant de se reposer comme elle le devrait, obligée de compter les dalles qui recouvraient le plafond. Elle était arrivée au point de leur donner à chacune un nom. Soudain, elle sursauta, comme tirée d'une torpeur nouvelle, son regard fuyant en direction du mur en face d'elle.

"Je ne sais pas... Tu sais bien que je ne fais pas tout ça parce que je suis fondamentalement pour Raziel, mais..."

Son regard étincela d'une émotion nostalgique. Triste. En fait, ce qu'elle venait de vivre lui rappelait ce qu'elle avait été obligée de subir à la mort de ses parents. Des combats et des destructions aveugles.

"...Mais j'ai toujours du mal à comprendre la manière dont ils défendent leurs idées."

Elle grimaça et porta sa main gauche aux bandages de son ventre au moment où une nouvelle douleur la foudroyait. Voilà ce qu'elle allait devoir supporter pendant les mois à venir. Quelle joie !

"Évidemment... Je suis consciente que, dans mon cas, je me retrouve ici par ma seule faute. J'assume. Si je fais ce métier, ce n'est probablement pas pour me la couler douce. Mais au final, je ne fais que leur répondre."

Elle patienta un instant avant de continuer, le temps que la douleur se calme et disparaisse. Puis elle releva les yeux vers Lhaar.

"Si tu devais choisir, Lhaar... Tu serais avec eux ou..."

Son regard se fit plus insistant. Presque dérangeant.

"...Avec moi ?"

-Je n'ai pas à choisir.

Elle croisa les bras, outrée avant de rejeter ses longs cheveux en arrière, telle une mannequin qu'on a éconduite. Ses yeux turquoise fusillèrent sa compagne du regard. Elle ne sut quoi répondre. Lou était-elle seulement consciente de la question qu'elle lui posait ? Voulait-elle vraiment connaître la réponse ? Elle n'était certes pas en état de la tabasser mais Lhaar n'avait aucune envie d'avoir affaire à son Karnevale. Elle n'aimait pas se battre et trouvait la violence inutile.
Celle de sa compagne ne faisait pas exception.

Lou était-elle encore en train de lui faire une crise de jalousie ? Cela relevait bien de son caractère explosif et possessif. Lhaar, habituelle soumise, ne relevait jamais, mais là, c'en était trop. Cela devenait bien trop enfantin. Complètement stupide. Désormais, elle comprenait pourquoi elle avait failli se battre à mort contre son ennemi.
Aurait-elle seulement le courage de se battre à mort contre Lhaar ?

-Et si jamais j'étais du côté rebelle, que ferais-tu de moi ?

Elle avança son visage, pointant du menton, l'air de dire « Alors, qu'est-ce que tu dis de ça ? ». Qu'elle le veuille ou non, elle ne pourrait de toute façon pas cacher la vérité très longtemps. Cependant, même si Lou verrait cela comme une trahison, elle avouait ne pas lui faire totalement confiance...Sinon sa compagne connaitrait la vérité depuis le début.

-Est-ce que tu te battrais à mort comme contre Siam Pain ?

Ses jambes se tendirent pour la porter alors qu'elle se relevait, bras toujours croisés, comme en signe de défi.

-Est-ce que tu me tuerais ?

Silence. Dix secondes interminables.
Puis un soupir. Blasé. Presque triste.

-Peu importe. C'est le cas et tu n'y changeras rien.

"Ah."

Elle se mordit la lèvre. Elle avait encore été idiote, et la conversation venait de prendre une direction toute contraire à celle qu'elle souhaitait. Elle aurait simplement voulu être rassurée. Pouvoir se dire, après quelques jolis mots chuchotés, que tout n'est pas aussi noir qu'elle ne le pensait. Comme à chaque fois qu'elle se sentait un petit peu déprimée, comme à chaque fois qu'elle se sentait partir dans des ténèbres qu'elle ne voulait plus rencontrer. D'habitude, ça marchait. Mais là, ça avait foiré. Et bien.

Lou resta un instant les yeux rivés sur la part de tarte à demi dévorée qu'elle tenait dans sa main. Silencieuse. Ce n'est pas comme si elle était vraiment surprise en fait. Les idées de Lhaar avait toujours été très différentes des siennes. Même si elle ne le disait pas toujours explicitement. Lou savait bien qu'elle n'appréciait pas qu'elle soit traqueuse. Elle soupira et mordit de nouveau dans la part de tarte.

"Désolée."

Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle présentait ses excuses, comme ça. Elle avait l'air bien pathétique. Ce n'était pas sa faute. Elles avaient toutes les deux décidé de leur vie. La traqueuse tendit son bras valide en direction de ceux de Lhaar, effleurant sa peau et lui intimant de se rassoir.

Malgré tout, un sourire se dessina sur le visage de la demoiselle aux cheveux sombres. Au moins, maintenant, elles ne se cachaient plus rien.

"Si c'est ça, alors, je me dis que finalement, ils ne sont pas tous aussi pourris que ça.

Elle se mit à rire, légèrement. Cette fois elle ne pu pas y résister. Toutefois elle s'arrêta bien vite, grimaçante alors qu'une douleur la prenait de nouveau, comme elle le pensait. Une larme coula sur sa joue. De douleur, sûrement. Mêlée d'autres sentiments, probablement. Sa voix se fit comme un souffle.

"J'aurais tellement aimé pouvoir avoir d'autres relations avec... Vous...

Elle releva tristement la tête vers sa compagne -l'était-elle encore ? -.

"Malheureusement, je crois que c'est décidément impossible."

Désolée. Ben voyons. Et après tu me demandes en mariage ?

La jeune femme demeura sceptique alors que l'expression de Lou changeait. Elle la connaissait pour se révéler d'une grande sensibilité, parfois. Au moment où on s'y attendait le moins. Corps fragile sous ses grands airs coriaces. Etait-ce parce qu'elle n'était pas en état de la tabasser qu'elle se conduisait ainsi ?
Si elle était Traqueuse et qu'elle n'aimait pas son travail pourquoi finalement s'être engagée ? Lhaar se surprit à se demander si, finalement, sa compagne se révélait plus intelligente que ses collègues aveuglés d'une haine sans raison valable.

Sans doute craignant une colère qui ne viendrait pas, Lou intima Lhaar de se rasseoir, ce que l'intéressée fit avec réticence, ses yeux toujours fixés sur ceux de sa conjointe comme pour la surveiller. Elle demeura sur ses gardes ; elle n'avait pas envie de se battre, encore moins contre Lou.
Sa compagne l'acceptait-elle donc comme elle était ? Tout cela semblait donc bien trop facile.
Se penchant, la demoiselle essuya une larme au coin de l'œil de la brune.

-Pourquoi ce serait impossible ? Parce que t'es pas dans le même camp ?

Elle haussa les épaules.

-Nous sortons bien ensemble, je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas te lier d'amitié avec les Karnevaliens. C'est bien ça le problème : depuis que la guerre a commencé, dès qu'on a une étiquette de Karnevalien ou de Traqueur collée sur le front, les autres ne voient plus rien d'autre.

Soupir. Elle secoua la tête, déçue.

-Les gens deviennent terriblement bornés, de nos jours.

Puis, reportant son attention sur Lou, soudain étonnée, presque angoissée.

-Quand tu disais « vous »...Tu parlais aussi de moi ? Tu n'acceptes pas ce que je suis ?

Son estomac se serra.

-Tu ne veux plus de moi ?

"Idiote."

Les paroles étaient parties en même temps que la gifle, douce. La main gauche de Lou resta un moment sur la joue de Lhaar, la caressant doucement. Ce n'était pas pour faire mal. C'était pour réveiller. Pour faire réaliser. Pour faire revenir à la réalité. Il lui fallait peu de temps pour changer, retrouver sa prestance. Elle laissa retomber son bras, frôlant pendant quelques instants la joue de sa compagne du bout des doigts. Serrant le poing, elle prit un douloureux appui sur son bras gauche qui s'enfonçait dans le matelas blanc. Elle se redressait, se redressa lentement, oubliant comme elle le pouvait la souffrance d'un corps meurtrit afin que son visage soit face à celui de Lhaar, afin qu'elle puisse poser ses lèvres sur les siennes.

"Je t'aime."

Lou se laissa retomber dans son lit dans un soupire de satisfaction. Elle resta silencieuse un instant, les yeux rivés sur un point invisible sur le mur. Le temps que la douleur se calme.

"Qu'est-ce que ça change ?"

Son cœur. Il battait toujours pour la même personne. Ses pensées. Elles étaient toujours les mêmes, forgées dans le passé, tournées vers l'avenir. À chacune son rôle, à chacune de faire avec. Avec leurs propres idées, encrées dans leur petite tête, elles formaient un duo tellement improbable. Un camp à elles seules.

"Absolument rien. Vraiment. Rien."

Elle plongea de nouveau son regard dans celui de Lhaar.

"Tu comprends ?"

Elle détourna les yeux.

"Ce n'est pas la traqueuse qui parle, là. C'est moi. Je t'aime comme tu es, pour ce que tu es. C'est ridicule, mais pour moi, c'est différent, avec toi. Même si tu es avec eux."

Son regard se posa sur le plafond. Direction les cieux.

"Toutefois, je les hais et les haïrai toujours. Et tu le sais. Et tu sais pourquoi."

Silence.

"Mais toi... J'ai besoin de toi."

Un léger sourire.

"Ça aussi tu le sais... N'est-ce pas ?

Lou pouvait se matérialiser sous la forme d'une bouteille de champagne ; dès le bouchon de sa sensibilité sautait, elle déversait tous les sentiments qu'elle avait sur le cœur, y compris les plus agréables, ce qui faisait d'elle un sacré personnage, extrêmement lunatique. Néanmoins, Lhaar devait avouer l'apprécier pour cela ; elle était lunatique au bon moment quand il s'agissait de la protéger et, inversement, quand il s'agissait de parler calmement.

Lhaar n'eut pas le temps de savourer le baiser que Lou lui donna car cette dernière se laissa bientôt retomber sur le matelas, satisfaite – de ne plus souffrir ou de l'avoir embrassée, elle ne le sut pas.

La réaction de Lou la foudroya. Elle n'y croyait pas. Elle s'était préparée à une bataille digne d'un couple de jeune femme, avec des objets qui voleraient dans toute la pièce et des Karnevales dégénérés. Ce n'était pas arrivé. Peut-être pas encore. Lhaar se détendit, tout en sachant que si elle l'acceptait, elle finirait par le lui cracher tôt ou tard à la gueule quand elle serait en colère ou quand elle reviendrait d'une soirée bien arrosée avec...comment s'appelait déjà...

La jeune femme connaissait la haine de Lou contre les Karnevaliens. Mais ses parents n'étaient pas encore morts quand elles s'étaient connus. Elle ne possédait même pas son Karnevale au moment de l'évènement ; pourquoi devait-elle payer pour les autres.

-Mange, ça va refroidir, répondit-elle simplement.

Elle n'était pas venue pour parler des choses passées, des choses qu'on ne pouvait de toute façon pas changer. Relevant la tête car préférant changer de sujet, elle demanda.

-Tu restes encore combien de temps ? Il vont devoir t'opérer une nouvelle fois ?

Soupir. Et dire qu'elle aurait pu se charger elle-même de sa guérison si elle avait maîtrisé son pouvoir. Une guérison rapide, sans douleur, à la maison, avec elle.
Tournant son regard au dehors, elle l'informa des nouvelles.

-T'as intérêt à te rétablir vite, d'après les rumeurs, l'affrontement des deux forces risque de se terminer à Alzen ; il n'y aura bientôt plus rien de cette magnifique ville.

Ses yeux se posèrent sur le visage de sa compagne. Un sourire étira ses lèvres.

-Tu ne perdrais pas une occasion de te battre contre moi, n'est-ce pas ?

Qui croyait encore en Raziel, de toute façon ?

"Tu penses que tu aurais tes chances ?"

Après avoir prononcé ces mots avec le plus grand sérieux, ses yeux quittèrent progressivement le plafond pour se poser sur Lhaar. Elle ne savait pas comment elle devrait réagir si, justement, elle devait aller en mission contre celle qu'elle aime. Elle ne savait pas si elle l’épargnerait, ou si elle se résignerait à la combattre. Mais si elles devaient s'affronter, Lou était bien consciente que son avantage était considérable. Que l'issue serait presque inéluctable, à vrai dire. Elle maîtrisait son karnevale avec soin et perfection. Pas sa chère Lhaar. Elle soupira et reporta son attention sur la nourriture qui se trouvait en face d'elle. Inconsciemment, tout ceci lui avait passablement coupé l'appétit.

"T'en fais pas. Je serai rétablie bien assez tôt pour me retrouver encore une fois en mission."

Blessures ou pas, eux, traqueurs, devaient faire avec. Leur rôle était important, comme leurs interventions qui pouvaient faire basculer à tout moment une bataille qui semblait perdue. Aussi, elle imaginait bien qu'elle devrait très vite, une fois sortie de l'hôpital, retourner chasser du karnevalien en fuite. C'était une évidence.

D'un mouvement de tête, elle fit s'évaporer toutes ses réflexions et reporta son attention sur l'heure. Le temps s'était écoulé assez vite, depuis l'arrivée de Lhaar, et au loin la lumière du soleil se faisait moins prononcée. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Lou.

"Mais tu sais, être une traqueuse reconnue, ça a aussi ses avantages. Tout le personnel est à ma botte, alors, si tu veux, tu peux rester ici cette nuit. Histoire de me tenir compagnie."

Elle ponctua son discours d'un clin d’œil plein de malice à destination de son interlocutrice.

Lhaar fut heureuse que sa compagne change de conversation ; elle le fut moins quand elle découvrit que Lou avait cessé de manger ce qu'elle avait pourtant préparé avec un soin amoureux. La dernière phrase de Lou fut un tremplin pour changer radicalement de domaine. Quelques pièces de théâtre dont elles étaient les deux personnages principaux se construisirent rapidement dans son esprit soudain très adulte.

Sa compagne avait fait cette proposition car le soleil déclinait à l'horizon ; Lhaar venait de s'en apercevoir, n'ayant pas vu le temps passer. Elle se rendait toujours à Alzen le soir. Etrangement, cela la rassurait : les Traqueurs attaquaient plus dans la journée afin de terroriser tout le monde sur leur passage. Etait-ce le cas de Lou, qu'elle n'avait jamais vu à l'œuvre ?

Se jurant de ne plus penser à de telles choses, elle s'extirpa soudain de ses pensées sombres. Saisissant les victuailles qu'elle avait apportées, elle les emballa de nouveau et les déposa dans son sac ; sa compagne finirait bien par les manger. Le sport, ça creuse, surtout en pleine nuit.
Une infirmière se glissa dans la chambre afin de reprendre, une fois de plus, un plateau auquel elle n'avait pas touché. Lui donnant ses médicaments, elle accepta que Lhaar reste pour la nuit, sans réellement avoir le choix, en fait.

Satisfaite, la jeune femme se leva afin de fermer la porte à clef. Elle s'approcha de la fenêtre dont elle ferma les stores à l'aide d'un simple bouton.
Le noir complet s'installa. Lhaar tâtonna dans cette étrange nouvelle atmosphère avant de retirer ses vêtements puis de se glisser dans le lit de sa compagne.

Quelques baisers, promesses d'oubli, promesses de tolérance, rappel de douleur, furent échangés. Le silence total s'installa lorsque la main de Lhaar glissa sur le corps de sa compagne avant de disparaître entre ses cuisses.