Elle et lui, une rencontre explosive [PV : Lawena et Siam][TERMINE]

[Ordre de passage : Scarlet => Siam => Lawena]

Il pleuvait depuis maintenant plus de trois heures.

Cela n'avait pourtant pas affectée ma bonne humeur croissante, présente lors de chacune de mes sorties en compagnie de Siam. Sous nos parapluies respectifs, nous effectuions une ballade dans la ville à la quête d'un nouveau ruban. Pour moi, bien sûr. Je le désirais bleu marine et en soie. Les rubans ont toujours exercé sur moi une certaine fascination : leur longueur, leur couleur, leur douceur...Dans les cheveux, autour du cou, qu'importe l'endroit tellement ils possèdent de fonctions. Rien n'est plus utile et merveilleux qu'un lambeau de tissu comme celui-ci. J'ai par ailleurs un meuble qui leur est consacré : chaque tiroir contient une certaine longueur d'onde de couleur et ses dérivés. Ainsi le premier, les rouges, le second les oranges, le troisième les jaunes, le quatrième les verts, le cinquième les bleus et en dernier le sixième tiroir (mon préféré) les violets. Tandis que nous attendions de pouvoir traverser, je tendis la main pour sentir quelques secondes plus tard, l'eau ruisselant entre mes doigts. Quelle agréable sensation ! Je ne pus m'empêcher de sourire, heureuse de ma journée. Celle-ci avait débutée très tôt, imaginer les heures à venir m'avait coupé l'envie de dormir, vers cinq heures du matin. J'étais alors passée par de nombreuses sensations contradictoires : l'excitation, la peur, la joie, le doute... De plus, choisir ma robe, contrairement à d'habitude, avait été le parcours du combattant : rouge...quelle est la couleur préférée de Siam déjà ?...Noir ?...Oh non, c'est beaucoup trop sombre !...Jaune...Orange...Bleu. Ce sera bleu ! Mais quel bleu ? Pastel, oui pastel c'est plus joli. Vous trouvez que c'est inutile ? Au contraire, je devais être la plus splendide de toute. Coiffure, chaussures, rien ne fut laissé au hasard. Grande soeur, tu m'aurais sans doute prise pour une écervelée ! Lawena, ma sœur de cœur, trouvait souvent que j'en faisais trop. Elle ne connaissait pas monsieur Pain, du moins pour le moment.

- Siam, tu te rappelles de Lawena ? Je t'en ai reparlé hier, c'est une personne que j'aime beaucoup...Tu vas la rencontrer enfin aujourd'hui, je lui ai donné rendez-vous au magasin.

Je me tus, espérant que la surprise lui fit plaisir. Depuis le temps que je parlais de l'un à l'autre !
Siam connaissait Lawena par les longs monologues que je lui livrais sur elle ainsi que sur les photos qui couvraient les murs de mon loft. Deux littéraires aux cheveux colorés, la tête violette et la tête verte, ne passaient pas inaperçues. Il faut dire que ma relation avec cette dernière était plutôt particulière. Plus dure que celle de Rin et plus douce que celle d'April, on pouvait la classer en intermédiaire. Elle connaissait excellemment bien mes faiblesses cependant je savais également les siennes. Tandis que pour Lawena, Siam devait être quelqu'un de très désagréable, je pense. Pas pour moi, bien entendu. Sauf qu'elle doutait de sa perfection bien que je ne lui trouvais aucun défaut. Siam était pour moi une sorte de prince charmant. Cependant pas n'importe quel prince charmant, un sincère et dévoué : j'entends la différence avec Aaron qui lui, peut paraître très charmant, néanmoins il ne faut jamais oublier que c'est son métier et que par conséquent être agréable doit être une de ses qualités. Alors que Siam, lui, aurait pu m'être irrespectueux ou désagréable comme beaucoup d'autres avant lui toutefois non. Il se contentait de combler mes envies les unes après les autres, cadeaux et rigolades. Comme s'il était né pour me divertir. Malgré tout, ne vous méprenez pas, l'amour n'avait rien à faire là-dedans. Je pourrais tuer pour lui, mourir pour lui mais certainement pas l'embrasser, coucher avec lui ou tout simplement lui prendre la main. Sa perfection me rendait pleine d'admiration, moi qui suis si imparfaite. Il était si attentionné, patient et divertissant. Lorsque j'étais malheureuse, je pouvais tout lui confier et rester en sa présence me comblait de joie.

- Regarde, elle est déjà là.

Je courus innocemment à la rencontre de mon amie, en oubliant les obstacles pouvant se trouver sur mon chemin. Je faillis renverser une personne âgée et son chien de part ma candeur. Heureusement, pas d'accident majeur en perspective. Si au départ, elle bougonnait un peu, mon sourire la désarma très vite et lui décrocha un regard attentionné. Un des avantages de mon visage enfantin est l'impossibilité de m'en vouloir trop longtemps. Enfin pour le moment cette technique a toujours marché sur les plus récalcitrant. Je sautais dans les bras de la sirène qui me regardait désormais, sans aucun doute plus débordante de vitalité que je l'aurais désiré. Face à des inconnus, mes réactions sont souvent stupides et contradictoires, difficile alors de pouvoir m'analyser toutefois quand je suis avec des personnes que j'apprécie énormément, je peux être très expansive. Voir beaucoup trop expansive.
La journée était décidément magnifique.

- Lawena, je te présente Siam. Siam, voici Lawena. Je suis tellement ravie que vous vous rencontriez enfin, pour vous connaître mieux...Dis grande soeur, comment trouves-tu ma robe ? Elle est adorable n'est-ce pas ? Siam n'a fait aucun commentaire...Cela me déplait par ailleurs.
Ta libraire marche bien en ce moment ? Je t'ai envoyé plein de client sans le vouloir en réalité...Bon, je ne vais pas faire un monologue, ce ne serait pas drôle. Parlez, dites !

Des heures. Cela faisait bien des heures qu'elle le traînait dans la ville en plastique à la recherche de ce stupide accessoire féminin. Les rubans. Il n'avait jamais vraiment compris la cause de cette obsession, ni la date à laquelle elle avait pris possession de sa petite marionnette. Toujours est-il que le ruban constituait un élément essentiel pour la rendre de bonne humeur. Si jamais une dispute eût lieu entre eux - ce dont il doutait - il constituerait une arme redoutable afin de se faire pardonner. Cependant, il fallait pour cela endurer les pires promenades en sa compagnie candide...qu'il neige, qu'il pleure ou qu'il vente. Présentement, le temps n'était absolument pas en leur faveur. Un lit de coton gris tâché d'ébène crachait de longs rideaux d'une pluie obsidienne. Lassé, désespéré, il regardait les flaques s'agrandir sous es pieds et se réjouissait un minimum du parapluie sombre qui le protégeait.

Ce climat détestable n'avait pas résigné Scarlet. Une fois de plus, elle arborait une toilette de princesse, d'une couleur et d'une teinte différente des autres. Malgré sa cruauté venimeuse, Siam n'avait pu s'empêcher d'éprouver un semblant de gratitude vis à vis d'elle. Le bleu constituait un une onde de sa palette préférée. Lui même avait revêtu une longue cape bleu nuit dont les perles métalliques attestaient de sa nationalité orientale.
La promenade s'allongeait désespérément. Retenant ses soupirs, le jeune Opalien se contentait, tel un garde du corps, de caler sa marche sur le pas lent et rêveur de la demoiselle. Pour la énième fois, elle lui parla de Lawena et lui réitéra la question identique à celle qu'elle lui posait depuis des mois.

- Mais bien sûr que je m'en souviens, Scarly, répondit-il avec une lassitude ponctuée d'un sourire hypocrite. Cela fait des mois que tu m'en parles et que tu projettes cette rencontre. Comment diable voulais-tu que je l'oublie ? Oh, attends-moi une seconde, je te prie.

Trop tard. Soudain animée d'une excitation juvénile, la jeune femme se fraya prestement un chemin dans la foule environnante jusqu'à l'enseigne fluorescente d'une boutique. Siam, d'abord étonné, poussa un soupir et arrêta d'une main l'avancée d'un marchand de friandises. Il troqua une généreuse sucette tourbillonnante contre quelques pièces sonnantes et trébuchantes, avant de rejoindre Scarlet. Elle se trouvait en compagnie charmante d'une demoiselle aux cheveux émeraude qui devait être la fameuse Lawena. Il masqua son air maussade avec une facilité digne d'un hypocrite chevronné et ramassa la canne d'une vieille dame que Scarlet avait embouti. Enfin, arrivé à la hauteur des deux jeunes femmes, il referma son parapluie avec grâce.

Lorsqu'il vit la façon dont Scarlet lui présenta sa jeune amie, Lawena donc, il fut soulagé de se passer des formules Opaliennes. Se gardant donc de lui baiser la main et d'esquisser une révérence parodique et calculée, le jeune homme dirigea d'abord son regard sur Scarlet qui s'énervait déjà.

- Calme-toi, voyons. Je préfère commenter tes toilettes plus tard, ça me permet de me faire désirer, tu comprends ? Ne dis pas de bêtises, tu sais pertinemment que je les adore toutes.

Puis, se tournant vers Lawena, il lui adressa un simple hochement de tête. Ce fut à ce moment qu'il rencontra le regard tranchant de la jeune femme. Comment Scarlet l'avait-elle appelée, déjà ? "Grande Sœur" ? Siam tressaillit et sentit ses entrailles se contracter discrètement. Naturellement, il garda un visage impassible. Si cette jeune femme faisait preuve d'un minimum de lucidité et qu'elle se trouvait relativement proche de Scarlet, elle découvrirait ses manigances. Leurs attachements respectifs pourraient se rencontrer et Siam n'étant pas sincère, il risquait gros. Lawena constituait donc un fervent obstacle...
En une seconde, il avait su qu'il la détesterait jusqu'à la Mort.

- Enchanté, Lawena. Comme tu le sais sans doute, Scarl..et, m'a beaucoup parlé de toi. Je suis ravi de pouvoir enfin mettre un visage sur ses louanges.

Il évita de prononcer le moindre surnom, de peur de piétiner trop fâcheusement son territoire. Scarlet l'ignorait, mais elle venait de déclencher une guerre sans merci. N'ayant pas la moindre envie d'engager la conversation avec cette demoiselle, il préféra agir vite, afin de ne pas décevoir Scarlet pour autant. Elle était trop sensible, tellement innocente et stupide ! Aussi ouvrit-il la porte du premier café venu et s'effaça de l'embrasure afin d'inviter les demoiselles à y entrer.

- Cela vous dérangerait que nous poursuivions cette conversation dans un lieu plus chaleureux ?

Il adressa un clin d'oeil le plus sincère possible à ses invitées. C'est peu dire, il aurait donné tout l'argent du monde de Sphera pour pouvoir tuer Lawena sur le champ, sans blesser Scarlet.

Aujourd'hui était un jour spécial pour Lawena. Non, pas parce qu'on était dimanche, seul jour de la semaine où elle pouvait dormir jusque tard le matin. Du moins pas seulement. La vraie raison, c'était qu'enfin, après des mois et des mois à entendre Scarlet le vanter, elle allait rencontrer le fameux Siam, prince charmant parfait, toujours selon Carlie.

Bon, la pluie qui lui avait arrosé le visage dès qu'elle avait ouvert ses volets le matin avait un peu douché son enthousiasme, mais avait au moins réussi l'exploit de la réveiller presque autant que le faisait son premier café de la journée. Café qu'elle sirota d'ailleurs devant son armoire, à la recherche de la tenue parfaite pour son rendez-vous de l'après-midi. Si sa mémoire ne la trompait pas, la couleur préférée du jeune homme était le bleu. Par conséquent, la chemise du jour serait donc bleue. Lawena tendit la main, et sortit son haut préféré de cette couleur, une chemise à manches courtes en tissu léger. Il pleuvait, certes, mais on était tout de même en été, et la jeune fille n'était pas frileuse. Associée à son habituel pantalon noir, ce serait parfait. A la deuxième tasse de café, elle était passée à la coiffure. Une simple queue de cheval attachée avec une barrette à laquelle était fixée une fleur (bleue, évidemment) en tissu ferait l'affaire. Un thermos de café dans le sac, et tout était prêt.

Mais bon, on ne se lève pas à midi sans en payer le prix, et tous ces préparatifs faillirent mettre Lawena en retard. Faillirent seulement puisque, pressée de voir sa petite sœur de cœur, la bibliovore courut presque sur le chemin -seule sa flemme l'empêcha de le faire totalement-, ce qui lui permit même d'arriver avant eux. Bien à l'abri sous la devanture du magasin, elle sortit dans son sac le livre qu'elle avait commencé la veille, et ne sortit de sa lecture qu'en recevant Scarlet qui venait de se jeter sur elle.

- Wow, tu débordes d'énergie aujourd'hui Carlie ! Moi aussi je suis contente de te voir, mais ce n'est pas une raison pour me faire tomber !

Elle rit, puis reporta son regard sur le jeune homme qui arrivait vers elles en réparant les "dégâts" causés par Scarlet durant sa course. Tout en écoutant le monologue de Scarlet, elle le détailla de la tête aux pieds. Comme elle l'avait imaginé, il était beau, dans le genre ténébreux. De longs cheveux bleus relevés sur la nuque (elle se fit d'ailleurs en réprimant un sourire la remarque que cette coiffure présentait une vague ressemblance avec un ananas…), des traits fins, un sourire chaleureux… Sourire qui pourtant n'atteignait pas ses yeux, vairons, qui eux brillaient d'un feu étrange, celui qui brule dans les prunelles des gens qui s'amusent d'un spectacle dont eux seuls peuvent saisir toutes les nuances et sens cachés.
Lorsqu'il parla enfin, la jeune fille put constater que sa voix était aussi agréable que le reste de sa personne… Si on oubliait le fait qu'elle était gâchée par l'écho qu'elle y percevait. Il ne semblait pas si enchantée que ça… Décidant de passer outre (il était peut-être de mauvaise humeur, ou aurait tout simplement préféré passer l'après-midi seul avec Scarlet ?), elle lui répondit sur un ton enjoué :

- Moi aussi je suis heureuse de te rencontrer, comme ça je peux mettre un visage sur le prince charmant de Carlie ! Elle est toujours en train de parler de toi, c'est impressionnant, à croire que tu es parfait !

Elle conclut par un rire, puis le suivit à l'intérieur, précédée de Scarlet. Étrangement, un mauvais pressentiment la taraudait, sans doute du à ces deux mensonges en à peine cinq minutes. Et peut-être aussi à ces yeux, si froids… A croire qu'il était parfait, avait-elle dit… Trop parfait. Ce n'était pas naturel.

- Bonjour mes demoiselles, monsieur. Une table de trois, venez par ici.

Le serveur nous conduisit près d'une fenêtre puis s'éclipsa en nous laissant les cartes sur la table. A peine assise, je contemplais mes deux amis avec bonheur. Pour le moment, il semblait s'apprécier mutuellement et j'étais persuadée que l'avenir allait confirmer ma pensée. Tout en observant la carte et bien qu'ayant déjà choisi ce que j'allais prendre depuis le début, j'imaginais les autres saveurs sur mon palais. Les bulles pétillantes, les mélanges renversants et les alcools enivrants. Je n'avais bu des boissons alcoolisées qu'à une seule reprise et mes amies proches en avaient par ailleurs fait les frais. Il fallait se rendre à l'évidence, un seul verre de vin me faisait perdre toute inhibition et me rendait incapable de raisonner comme il se doit. La dernière fois, elles avaient dû appeler ma sœur en urgence et me porter sur la moitié du chemin conduisant chez moi. Une honte, je sais. La précédente remarque pertinente de Siam me fit rougir à nouveau, "tu sais pertinemment que je les adore toutes", il avait le don de me faire plaisir juste de par ses mots, des compliments la plupart du temps. Jamais vulgaires ou trop sentimentaux. Je fis signe au serveur :

- Je prendrai un sirop à la violette s'il vous plait.

- Bien mademoiselle.

Il attendait la commande de mes congénères mais, ne voyant aucun signe encourageant, repartit rapidement au comptoir. Soudain, l'impensable se produisit : un jeune maladroit passa à côté de moi de trop près et en renversa le contenu du verre qu'il portait à la main, une tequila. Des cheveux coupés à la va vite, d'un blond foncé, il semblait avoir tout au plus une vingtaine d'années, bien que sa tenue d'adolescent le rajeunissait un peu. Le contact avec le froid du liquide me fit faire un bond de ma chaise, tout mon bustier en était imprégné, j'étais désormais debout et incapable de bouger. Plusieurs sentiments en réalité m'en empêchaient : la honte d'avoir ma robe trempée, la colère (pourquoi est-ce que cet imbécile se baladait-il avec un verre plein à la main ?) face à cet imprudent et le dégoût de ce bon moment si vite gâché. Lui, aussi gaucher dans sa parole que dans ses gestes, balbutiait grandement des périphrases inintelligibles à mon attention. Finalement, il finit par attraper une serviette qui se trouvait sur la table pour tenter de m'éponger. Tenter fut le mot juste. En effet, à l'instant même où sa main frôla mon ventre, j'eus un mouvement de recul qui s'accompagna d'une gifle assez violente. J'étais une dame, pas une paysanne. De quel droit se permettait-il de me toucher de la sorte ?

- Ôtez-vous de ma vue ! Vous empirez votre situation à chaque seconde que vous passez à mes côtés !

- Je...Je...Je suis...Je...Désolé.

Heureusement pour sa propre vie, il préféra s'enfuir rapidement. J'attrapais tristement la serviette pour estomper en vain les dégâts. Ma robe préférée était fichue et je ne pouvais absolument rien n'y faire. Les hommes demeurent vraiment les êtres les plus inacceptables qu'il soit. Alors que l'on pense pouvoir apprécier leur compagnie, ils finissent par nous décevoir au bout du compte. Au bord des larmes, je me rasseyais en couvrant ma poitrine dont la forme commençait à apparaître à cause du liquide qui moulait de ma robe le haut de mon corps. Le serveur revint avec ma boisson et nettoya en s'excusant, lui aussi, de l'évènement. Tout en sirotant mélancolique mon verre, je souriais faussement à Lawena pour la rassurer. Il n'aurait pas été convenable de détruire l'instant présent à cause d'un idiot de première classe.

- Alors quelles sont les nouvelles ?

Spoiler:

- Bonjour, Mesdames, Monsieur, que désirez-vous ?

Il se tenait aussi droit que possible, le regard hautain, le cheveu décoiffé, comme pour se donner un air important malgré sa situation. Il embrassa les convives assises autour de la table d'un œil qu'il voulait aimable et attendait avec impatience, sentait grandir entre ses jambes l'infâme envie d'aller aux toilettes. L'une des jeunes femmes, aux cheveux violets et à l'allure de poupée, lui commanda un sirop à la framboise, commande qu'il s'empressa de noter. Voyant que les deux autres ne semblaient piper mot de plus - sans doute n'avaient-il pas encore choisi - il tourna les talons et disparu derrière le bar, sans oublier de faire un tour aux sanitaires.

Il prit le temps de se recoiffer, mais estima que c'était une vaine entreprise. Ni l'eau, ni le gel le plus puissant au monde n'arrivait à discipliner ses cheveux en pétard. Soupirant, il se résigna à encaisser une énième remarque de sa supérieure sur sa tenue. Il quitta les toilettes, son carnet toujours à la main, avant de récupérer sur le comptoir, un verre épais dans lequel une baguette de plastique translucide se trempait d'un liquide rosé et parfumé. Sa supérieure émergea de l'arrière boutique, dans une cascade de cheveux bouclés. Elle saisit un verre de Pelleteuse (Vodka-Pastis) qu'elle fit glisser sur le comptoir en direction d'un client. Ce ne fut qu'à ce moment qu'elle se tourna vers Elliot et lui lança ce regard noir qu'il lui trouvait terriblement séduisant.

- Eli', ta chemise ! Dans l'pantalon, et que ça saute ! Nom d'un p'tit bonhomme, tes cheveux ! Je fournis un salaire si bas que tu ne peux pas t'payer l'coupe tif ?! Hep, attends une seconde ! Cette commande a été passée avant celle du sirop !

Joignant le geste à la parole, elle lui tendit un verre de Tequila. Il quitta le comptoir, imperturbable, avant de s'engager entre les rangées de table, en direction du client concerné. Tout à coup, il trébucha sur une serviette tombée à terre et vacilla dangereusement. Il réussit à ne pas s'étaler à terre, mais le verre de Tequila n'eut pas la même chance. Il tituba avec violence. S'écrasa sur une table proche. Éclaboussa joyeusement la toilette d'une jeune fille. Le cœur battant, Elliot se redressa pour constater avec horreur l'étendue des dégâts. L'alcool s'étalait en une tâche sombre sur la poitrine de la demoiselle aux cheveux violets. Il sentit le rouge lui monter aux joues, et pour dissimuler sa confusion, il saisit un torchon avec lequel il tenta d'essuyer ses dégâts. Peine perdue. La demoiselle le gifla violemment, criant au crime. Elliot recula, abasourdi.

Les premiers éclats de rire succédèrent à l'étonnement général. Elliot ramassa les éclats de verre avant de retourner en direction du comptoir, l'estomac noué. Même sa supérieure n'eut pas le cœur de l'engueuler, et lui donna une autre Tequila, qu'elle lui proposa de scotcher au plateau. Il la fusilla du regard et s'en alla donner sa commande. Le client, hilare, eut pitié de lui et lui donna un pourboire. Elliot faillit lui jeter le billet à la figure, mais il tenait trop à l'argent. Quelques minutes plus tard, les conversation reprirent, et Elliot déposa le sirop devant la demoiselle, avant de se tourner vers les deux autres ?

- Vous avez choisi ? demanda-t-il d'un ton glacial.

Siam faillit éclater de rire. Voir un jeune homme, qui semblait si gentil, si attentionné, se carapater de cette manière sur son lieu de travail était hilarant. Il semblait pourtant si sûr de lui, mais ce n'était qu'une histoire d'apparence. Car tout bon orgueilleux sait se contrôler lorsqu'il se sent pris en otage par le feu de la honte. Ce n'était pas son cas. Siam lui aurait volontiers balancé quelques pièces afin de le remercier de son merveilleux tour. Ce dernier ne sembla cependant pas amuser Scarlet. Oh, pauvre chérie, tu t'es fait tâcher ta robe ? Oh, pile au bon endroit en plus ! Le jeune homme regarda avec délice les gouttes parfumées se glisser entre ses deux girons, et se mordit habilement la langue afin de ne pas se moquer d'elle. Il ne fallait surtout pas faiblir devant Lawena : cela lui donnerait un prétexte pour le détester et lui retirerait des points sur le jeu...Mais ne t'inquiète pas, Lawena chérie, tu vas me détester, plus vite et plus fort que tu ne peux seulement l'imaginer. Siam lança un regard amusé au serveur lorsque celui-ci revint à la charge avec la commande de Scarlet. Afin de se donner contenance, il vint même demander une seconde fois si les compagnons de sa victime avaient besoin de quelque chose. Galant, Siam estima que, pour remercier le troubadour de ce spectacle délicieux, il était d'usage de commander. Il opina, avec un sourire sarcastique.

- Je prendrais bien un café noir. Sans sucre, je vous prie. Lawena, tu désires ?

Il planta un regard bleu marine dans les yeux de la demoiselle qu'il sentit désarçonnée. Son sourire se renforça davantage et il ne la quitta pas les yeux avant qu'elle ait prononcé sa réponse. Lorsque ce fut fait, il intima d'un regard le serveur de prendre congé. Son attention fut attirée par les petites mains de porcelaine qui s'appuyaient sur cette gorge trop mature. Il se demanda alors ce qu'elle essayait vainement de cacher : sa poitrine, ou la tâche qui l'enlaidissait. Siam sentit grandir en lui une chaleur orgasmique. Ah, toi, ma jolie ! Toi qui aspires tant que cela à la perfection, qui t'es donné tant de mal pour t'habiller, afin de surprendre Lawena ! Quel gâchis, Chérie, quel gâchis ! Je t'assure, je suis désolé pour toi. Vraiment ! Ton apparence parfaite se trouve soudain bien dégradée...Tu as mal, n'est-ce pas ? Tu as honte, pas vrai ? Oui, continue de rougir comme cela, tu es tellement belle, ainsi maquillée. Ah, ta honte me fait frémir de désir...Ainsi affublée, tu es la plus belle poupée victime, victime marionnette. Tu es désolante, hilarante, décevante, fascinante...Tu me fais...

Terriblement Pitié.

Attendri, le jeune homme se leva et passa par dessus les jambes de Lawena en s'excusant au passage. Il sortit de sa poche un léger châle qu'il devrait rendre à Lust lors de sa prochaine visite à Amenthalys, et se baissa dans sa direction.

- Non ! N'appuies pas dessus, tu vas l'étaler...Oh, ne t'inquiète pas, Scarly Chérie, je t'achèterai une autre robe quand nous sortirons du restaurant, d'accord ?

Il déplia d'abord le large tissu de coton, avant de le plier en triangle, puis de le jeter avec douceur sur les épaules de la jeune fille. Il en recouvrit la tâche d'alcool d'un nœud d'aristocrate. Il recula afin d'admirer son œuvre, avant de reprendre sa place, tandis que le serveur s'empressait de leur apporter leur commande. Le jeune homme se tourna vers Elliot et le saisit par le bras avant de lui glisser un murmure à l'oreille. Le serveur acquiesça avant de repartir, son plateau sous le bras. Siam le suivit des yeux avant de se rasseoir tranquillement. Il retira ses gants de cuir avec une grâce noble et appuya un regard bienfaisant sur Scarlet.

- J'ai demandé à rencontrer le serveur, tout à l'heure. Il ne s'en sortira pas comme cela, crois-moi. Engager un personnel si incompétent nuit cruellement à la réputation d'une entreprise. Uhm, c'est bien dommage, j'aime beaucoup ce bar...

Il feignit la désolation, puis, après avoir posé ses gants sur ses genoux, saisit la hanse de la tasse et la porta à ses lèvres. Il goûta à la saveur habituelle de ce café délicieux, rehaussé par une légère note de rhum. Une douce chaleur se propagea dans son estomac ; ce fut avec satisfaction qu'il reposa délicatement sa tasse dans la soucoupe. Il lécha la cuiller pour ne pas perdre une goutte de ce breuvage. Il leva les yeux lorsque Scarlet reprit la parole, visiblement plus détendue, tant dans son attiude que dans son sujet de conversation. Elle semblait avoir oublié l'incident et Siam adorait cela, chez elle. Tout oublier, tout pardonner. Cela te perdra, Chérie, cela te perdra. Il retint un soupir, qu'il torqua pour un sourire à la question suivante. Les nouvelles, les potins ? Ah, les femmes !
La cuiller tinta dans la soucoupe pour indiquer sa prise de parole.

- Es-tu au courant de la course des vents qui aura bientôt lieu, ici-même, au stade ? J'aimerais te proposer de m'y accompagner, il serait génial que nous y allions ensemble ! Bien entendu, Lawena pourrait se joindre à nous, si cela l'intéresse. Je ne suis guère attiré par ce genre de sport, je n'y ai jamais assisté. Cependant, je suis curieux, et à mon sens, il serait dommage de rater un évènement si rare ! Vois-tu, j'aimerais satisfaire ma curiosité et puis, cela nous permettrait de passer un peu de temps ensemble, non ?

Tu n'imagines pas une seule seconde à quel point cela pourrait nous amuser tous les trois, ma chère Scarly...Tu ne l'imagines pas du tout...Siam esquissa un sourire encourageant, avant de se tourner vers Lawena. Il prit un air décontracté et jeta un regard par la fenêtre. La pluie se déversait des nuages, martelant les fenêtres et ruisselant sur les routes pavées. Quelques engins volants avaient le courage de braver le vent qui hurlait comme un fantôme. Quelques parapluies abandonnés, chauves-souris dépravées, se traînaient sur les routes. Le jeune homme soupira. Il détestait la pluie ; ils allaient rester ici encore un bon bout de temps. Reportant son attention sur l'extravagante aux cheveux verts, il lui posa la question qui lui trottait en tête depuis longtemps et qu'il n'avait jamais pu poser à Scarlet.

- Dis moi, Lawena, comment vous-êtes vous rencontrées, Scarlet et toi ? Il me semble que cela fait un certain temps, vu tout ce qu'elle dit sur toi, et puis, vous semblez assez proches !

Aller, ma Jolie, ouvre-moi tes failles...

[J'espère vous inspirer =) J'ai aussi écrit le post du dessus, alors celui de Siam est forcément plus petit. Mais les actions y sont, et là, vous avez matière à écrire, je pense ! xD]

Lawena adressa un sourire de compassion au serveur quand il revint avec le verre de Scarlet. Le pauvre avait enchaîné les bourdes !

Cependant, la question du jeune homme, associée à celle de Siam, la plongea dans une profonde réflexion. Ce qu'elle désirait ? Qu'il parte, vite. Hop là là là, stop stop stop, qu'est-ce que c'était que ces bouffées d'animosité qu'elle sentait monter depuis tout à l'heure ? Rien, juste le dicton "les amis de mes amis sont mes amis" qui venait de trouver son antithèse. Mais bon, si on considérait que l'ami de l'amie en question avait l'air louche de celui qui cache quelque chose et que ça amuse beaucoup… On comprenait aisément que Lawena ait un peu de mal à le supporter.

Mais la question ne portait pas sur ce désir-là, aussi se contenta-t-elle de commander un cappuccino. Après tout, quitte à devoir se coltiner l'horripilant opalien et son regard dérangeant (surtout quand il la fixait comme à l'instant présent…) tout l'après-midi, autant profiter de l'endroit, qui avait la réputation de servir les meilleures boissons de la ville volante.

Cependant, il fallait plus qu'une demande aimable et une tasse de cappuccino pour que son mauvais pressentiment la quitte. Au contraire, il ne cessait de prendre de l'ampleur. Pour donner un exemple de ce qui l'attisait, on pouvait citer ce châle. Dans la voix, le visage et les gestes de Siam, on sentait l'attention qu'il portait à Scarlet, son désir qu'elle se sente bien. Dans ses yeux, par contre… Une lueur de délectation. La voir rouge de honte semblait lui faire… Plaisir.

Quand il se rassit après avoir parlé au serveur, Lawena serra le poing sous la table, dégoutée par la fausseté de Siam. Elle n'avait pas entendu leur conversation, et n'avait donc aucune idée de ce dont ils avaient pu parler, mais ce n'était certainement pas d'une rencontre ou d'une quelconque plainte. Une preuve ? La résonnance dans sa voix était plus que suffisante pour Lawena. Pour se donner une contenance et ne pas laisser Scarlet deviner quoi que ce soit concernant ses doutes sur son "prince charmant", elle saisit sa tasse à deux mains comme pour se réchauffer les doigts et but quelques gorgées. Effectivement, le café n'avait pas usurpé sa réputation, et le cappuccino était un véritable délice… Crémeux à souhait, un dosage parfait entre le cacao et le café… Tout juste ce qu'il fallait pour se donner la force de cacher le mieux possible le mal qu'elle avait à supporter Siam.

Le changement de sujet apporté par Scarlet fut donc le bienvenue, d'autant plus que Siam aborda un thème qui, non content d'intéresser Lawena, était en plus un de ceux dont elle souhaitait parler avec Scarlet. Aussi, il lui fut plus facile de prendre un ton enjoué pour répondre :

- Ça me ferait vraiment plaisir qu'on y aille tous les trois mais ça ne va pas être possible… Oh, Carlie, ne fait pas cette tête déçue tout de suite, attends la suite ! Ça ne sera pas possible parce que j'y vais déjà… En temps que participante ! Oui, je sais, je suis folle, mais bon… C'était un pari avec un ami, j'ai perdu, et je me suis retrouvée inscrite, même si je n'ai pas souvent conduit d'aéronef… Mais bon, ça pourrait être marrant ! Vous viendrez m'encourager, du coup ?

Elle rit un peu, puis prit quelques gorgées de cappuccino pour masquer la grimace qu'elle sentait poindre. Si ça continuait comme ça, cet après-midi de rencontre allait se terminer en une migraine magistrale tellement la voix de l'opalien résonnait. Un chœur dans une cathédrale n'aurait pas mieux fait ! Mais déjà la conversation dérivait sur un autre sujet, et il lui fallait répondre puisque c'était à elle que la question était adressée…

- Comment on s'est rencontrées ? Oh, Carlie, tu ne lui avais pas raconté ? En fait, c'est tout bête…

Et de raconter, en détail, la bibliothèque de Scarlet où la bibliovore venait se réapprovisionner, les conversations, à sens presque unique au début, du fait de la timidité de Scarlet, qui avaient au fur et à mesure développé une amitié solide, tellement solide que Lawena en était venue à considérer Scarlet comme une petite sœur, celle qu'elle n'avait jamais pu avoir… Évidemment, elle passa sous silence la vraie raison qui l'avait décidée à engager la conversation, ce Karnevale qui l'avait poussée vers Scarlet, grâce à sa sincérité… Moins il y avait de gens au courant de ce… "détail", mieux ça vaudrait. Et ce n'était certainement pas à Siam qu'elle allait révéler son secret. Même si elle l'avait connu depuis plus longtemps qu'une petite demi-heure, qu'il avait été un de ses meilleurs amis (ce qui n'était pas le cas et ne risquait pas de le devenir, loin de là !), et que sa voix n'était pas sur le point de remporter l'oscar de la plus belle caisse de résonance du siècle, déclenchant par là-même une dévalisation de sa réserve d'aspirine dès qu'elle rentrerait chez elle, la lueur dans ses yeux pendant qu'il l'écoutait aurait suffit à la décourager. C'était plus que de la curiosité… C'était malsain. Mais bon, puisqu'on en était aux souvenirs de rencontres…

- Et toi ? Comment est-ce que tu as rencontré Scarlet ? Vu l'admiration et l'affection qu'elle a pour toi, ça a du être un moment fort, j'en suis presque jalouse ! J'ai souvent voulu lui poser la question, mais je ne m'en souvenais jamais, je suis une vraie tête de linotte quand je m'y mets !

Mentir n'allait pas diminuer son mal de crâne naissant, mais une petite flatterie n'était pas plus mal pour en savoir plus et, pourquoi pas, découvrir pourquoi Siam semblait accorder tellement d'importance à ces mensonges dont il berçait Scarlet… Et elle aussi par la même occasion !

Flashback - sept ans auparavant

La scène se déroule à Alzen, cité des sciences. Dans un jardin modeste, des enfants fêtent un jour pas comme les autres, spécial. Celui de la naissance de Scarlet, qui vient de prendre treize ans et semble légèrement mélancolique de toute cette attention. Elle aimerait pouvoir sourire naturellement et non employé cette grimace forcée qu'elle use à cet instant. Seulement, toute cette gentillesse lui rappelle de mauvais souvenirs, de très mauvais souvenirs : lui et son rire sadique, elle à quatre pattes le suppliant de l'achever. Sa tête lui tourne, elle aimerait disparaître, les ballons multicolores, la chanson qui passe en boucle, les caresses de ses parents...

Elle se rappela le bal de l'autre belle saison, avec la joie dansante des petits pieds.*

Alors, elle s'enfuit en courant à perdre haleine, droit devant elle. Elle trébuche plusieurs fois à cause de son déguisement de petit chaperon rouge dont la cape, trop longue, l'encombre un peu. Une rue à droite, puis à gauche et encore à gauche. La demoiselle se stoppe brusquement et se rend compte de son erreur: elle est perdue et ne peut compter sur son sens de l'orientation parfaitement désastreux. Alors par défaut, elle continue à marcher en prenant des directions au hasard, en espérant qu'il la mèneront à la bibliothèque, son refuge par excellence. Jamais, depuis la découverte de son terrible secret, elle ne s'était sentie aussi mal et flegmatique.

Comment définir le réel ? Ce que tu ressens, vois, goûtes ou respires, ne sont rien que des impulsions électriques interprétées par ton cerveau.*

Une larme coula sur sa joue et la décida à s'asseoir sur ce banc. Les gens défilaient sans un regard, jusqu'à ce garçon. Sur le trottoir d'en face. Intriguée, elle le fixe également. Contrairement aux apparences, il ne fuit pas et traverse la route droit devant lui pour l'atteindre. Un étrange sentiment la submerge : elle n'a pas du tout peur de lui. Il la rejoint et l'enveloppe de gentillesse, de paroles douces et rassurantes. Elle ne sait pas s'il est sincère, mais elle veut y croire, et finit par y croire. Il lui prend la main et la ramène chez elle, où ses parents l'attendaient très inquiets. Avant de se quitter, elle lui promet qu'ils se reverront bientôt. Elle ne pourra jamais oublier ce qu'il a fait. Et en effet, ils revoient plusieurs fois dans des lieux différents avec la même candeur. Enfin, surtout sa naïveté à elle. Lui, devient de plus en plus mature et distant, tout en la berçant dans cette bulle qu'il a créé autour elle. Elle, prend un corps de femme de plus en plus toutefois son esprit d'enfant innocent demeure encore...

- Eh bien, pour tout te dire, c'est de ma faute. Je m'étais perdue dans Alzen, comme cela m'arrive souvent, déguisée pour mon anniversaire et Siam m'a aidé à retrouver le chemin de ma maison en tentant de me faire oublier ma peine. Un acte vraiment chevaleresque et admirable. Nous avons grandi ensuite, mais il a toujours réservé quelques heures à mon égard. Pour aller se promener, au cinéma, faire les magasins...Il a gagné toute mon amitié et ma confiance, comme toi. Néanmoins, pour ce qui est de la course des vents, je doute pouvoir t'encourager, grande soeur, depuis mon aventure avec Aaron chez cet horrible personnage...

Cette aventure, bien qu'elle nous ait rapproché Aaron et moi, m'a définitivement convaincue que les hommes pouvaient parfois être d'une méchanceté extrême sans aucune raison valable. Ce Andy, avec ses grands airs et son regard suffisant, j'aurai aimé ne jamais le connaitre. Heureusement qu'il existe des êtres comme Siam pour leur racheter une conduite à mes yeux. Comme pour suivre ma pensée, je plantais mes prunelles dans celles de ce dernier, afin d'essayer de capter ses songes. Nous avions beaucoup de points qui différaient entre nous : notre famille, notre style vestimentaire, nos goûts alimentaires...Toutefois, s'il y avait bien une chose qui nous rapprochait, c'étaient nos yeux singuliers : les miens étaient rose virant vers le violet et celui de droite blanc et aveugle et les siens vairons,
un rouge et un bleu.

Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d'agate.*

- Siam, Lawena, si vous aviez pu choisir votre Karnevale, vous auriez voulu lequel ?

Le monde est un château, et Dieu qui en ouvre les portes
Ainsi je te guiderai, et si tu continues d'emplir mes yeux
Plus doucement que n'importe qui
Prononce mon nom et tu sauras ce que l'éternité signifie*

- Moi j'aurai voulu celui d'Harmony...Tu la connais n'est-ce pas Siam ?...Pouvoir animer des marionnettes, des poupées...Quel rêve ! Ou alors celui de lire dans les pensées...Très utile lorsque l'on fréquente des gens bien mystérieux...Comme April, Czes ou toi Siam. Impossible de savoir à quoi vous pensez ! Tandis que moi, je suis transparente dans tout ce que je ressens...Il suffit de me regarder simplement pour deviner mes intentions premières. Un défaut par ailleurs.

J'apostrophais la patrone des lieux pour lui demander un second verre et sortis de mon sac, un muffin qui constituait l'essentiel de mon alimentation. Vanille et caramel au beurre salé, un véritable délice. Il faut dire que les sucreries ont toujours été pour moi une source de jouissance, de délectation intense. Sentir sur mes papilles le goût sucré, fermer les yeux pour sublimer les quelques secondes de mémoire puis percevoir la pâte descendre le long de ma gorge. Rien que plus bon sur Sphera. Comme à mon habitude, je repris ce fameux rituel un sourire de fantasme aux lèvres. Ses sensations me plongèrent dans une satisfaction totale, oubliant l'incident survenu peu avant. J'avais cette faculté de garder en mémoire le magnifique et d'oublier l'insupportable très facilement. Cela me protégeait de la dépression et donnait l'impression autoinfligée d'être perpétuellement heureuse. Les rancunes restent inutiles pour l'esprit, si vous voulez mon avis. C'est par ailleurs pour cette raison que quand le serveur aux deux mains gauches, revenu pour se faire pardonner, revint avec ma commande à reculons ; je l'accueillis avec l'air joyeux et le remercia.

- Merci infiniment. Vous êtes très aimable.

Je laissais un assez bon pourboire pour appuyer mes paroles. Il me regarda, incompris.
Désarmante, moi ? Absolument.

* Une page d'amour (Zola), Matrix, Le Chat (Baudelaire), Kinjirareta Asobi (Rozen Maiden)

Spoiler:

L'hypocrisie maladive de Lawena lui tira un sourire. Quelque chose lui disait qu'elle avait compris la règle du jeu, mais qu'elle ne la respectait pas. Siam frémit, il détestait les tricheurs. Mademoiselle Harvent semblait davantage avisée que sa compagne naïve, ce qui le rendit sceptique. Un esprit particulièrement lucide et une capacité théâtrale remarquable ne relevaient certainement pas d'une humanité quelconque. Sans perdre contenance, il s'absenta légèrement, plongé dans une profonde réflexion. Peu importait si cette capacité relevait d'un don, elle aurait pu faire une excellente alliée dans diverses complots si elle n'était pas autant attachée à la principale victime de Siam. Oh ! Pourquoi fallait-il que les plus grands potentiels fussent dans le mauvais camp ! Lorsqu'il apprit que Lawena serait participante de la course des vents, cette dernière remonta dans son estime : il serait alors seul avec Scarlet. La présence de l'Alzénienne l'incommodait de plus en plus au fil du temps. La fausseté de sa question n'arrangea pas les choses.

Siam n'eut pas le temps de prendre la parole que Scarlet se lançait déjà dans un récit endiablé d'Amour. Il ne pu retenir un sourire véritable et sincère lorsqu'il perçut dans la voix flutée et juvénile de la jeune femme une innocente admiration. Lorsqu'elle vanta ses qualités bienfaisantes de sauveur, comme celles d'un Prince venant sauver la Princesse égarée, son égo n'en fut que plus flatté. Il sirotait son café avec parcimonie, l'oreille n'écoutant qu'à demi le récit qu'il connaissait par coeur, tant Scarlet l'avait enjolivé depuis leur rencontre. Son attention tout concentrée sur Lawena, il ne zieutait pas moins Scarlet avec tendresse afin de donner l'impression qu'il n'était pas indifférent à ses paroles - en vérité, il n'en avait cure.
Il pouffa d'un rire sarcastiquement discret quand à l'évocation d'Andy. Scarlet et Siam avaient un véritable point commun dans ce domaine : leur antipathie vis à vis d'Andy Jacobsen était certaine et nullement dissimulée. Scarlet n'appréciait guère les courtisants orgeuilleux, Siam détestait les pimbêches traversties qui prétendaient le surpasser. Néanmoins, il devait avouer que le mystérieux Andy captait régulièrement son attention malgré la profonde animosité dont il faisait preuve lorsqu'il avait le déshonneur de le croiser.

Le jeune Opalien émergea d'un maelström de songes tous plus nébuleux les uns que les autres. Scarlet venait d'aborder un point intéressant : le Karnevale. En effet, chez Siam, qui disait Karneval disait pouvoir, disait contrôle. Ahh ! Le Karnevale ! Cette sucrerie qui amenait à une dépendance ardue, cette délicieuse drogue que l'on voulait toujours posséder davantage ! Les yeux vairons du jeune homme s'illuminèrent d'une lueur diabolique. Même un discours aussi enfantin que celui de la jeune fille laissait deviner une envie naturellement humaine : celle du contrôle d'autrui. Après tout, l'être humain ne devenait-il pas lui aussi une marionnette tiré par des fils vitaux, lorsqu'il se laissait dominer par plus fort que lui ? Il avait deviné ce trait de caractère chez Harmony. Elle, Sven et lui-même passaient le plus clair de leur temps à se tirer l'un vers l'autre, se donnant l'impression, le contentement de contrôler. Une illusion, un mirage qui leur suffisaient amplement lorsqu'ils n'avaient pas de victime à piéger, d'autant plus que les jeux d'Harmony se révélaient souvent subtiles.
Une nappe de silence vint recouvrir la table et Siam prit alors conscience que Lawena et Scarlet le regardaient avec impatience, semblant attendre une réponse. Voyons, quel était le sujet de conversation, déjà ? Ah oui, le Karnevale. S'il avait pu le choisir ? Quelle question stupide...Rêver que l'on puisse aller jusqu'à contrôler sa propre vie...

- Je ne crois pas que j'aurais aimé choisir. Parfois, je suis content de ne pas avoir à faire de choix. J'en suis capable, mais m'épargner un tel dilemme est un véritable cadeau de la nature. J'y aurais certainement passé des années, s'il m'avait fallu élire un Karnevale digne de ce nom. Pose donc la question à ceux qui n'ont pas de Karnevale ; les plus intelligents seront bien heureux de leur sort. Je suis pleinement satisfait du mien, du moins pour l'instant. Je préfère choisir la façon dont je dois le travailler, si je préfère l'utiliser à des fins offensives - il lança un regard à Lawena - ou défensives...ou simplement afin d'impressionner mes proies.

"Si tu tiens vraiment à obtenir une réponse, Scarly Chérie, j'aurais préféré ne pas avoir de Karnevale. Peut-être aurais-je eu une vie plus tranquille, planté dans une maison humaine, sans ressources magiques ni guerres virtuelles à la con. Cela ne vous dérange pas si je fume ?

Sans attendre la réponse, il sortit un petit objet en bois dont il cala la queue entre ses dents. Il cueillit ensuite au creux de sa main une légère poudre violette et quelques feuilles séchées dont il entreprit de bourrer l'orifice de la pipe, avant d'enflammer le mélange à l'aide d'une allumette. Il tira une bouffée délicieuse et un nuage violet l'enveloppa délicatement. Il toussota avant d'ouvrir la fenêtre qui ouvrait sur la rue. La pluie avait cessé de battre les carreaux et les larmes translucides roulaient en sillons métalliques sur le verre propre. Peut-être le soleil se déciderait-il à poindre ?

- Ta robe ne va pas tarder à arriver, Scarly, annonça-t-il. La pluie s'est arrêtée, nous allons pouvoir pointer le nez dehors !

Enfin ! Il détestait la pluie, détestait être enfermé, détestait rester au même endroit.
En fin de compte, Siam Pain n'aimait pas grand chose.

Quelque chose sur le visage de Siam lui laissa penser que sa fausse flatterie avait été mise au jour. Pas étonnant, quand on évite autant que possible de proférer le moindre mensonge… On devient très vite une mauvaise menteuse. D'ailleurs, maintenant qu'elle y réfléchissait, même avant, quand elle n'avait pas son Karnevale, elle était la pire menteuse qu'on puisse connaître…

Et tant qu'on en était à parler de Karnevale… La question de Scarlet plongea la jeune fille dans un débat intérieur des plus poussés. Le choix était le suivant : elle pouvait y aller franc jeu, en profiter pour montrer clairement à Siam ce qu'il semblait avoir déjà plus ou moins compris, à savoir qu'elle voyait clair dans son jeu… Ou au contraire le faire d'une manière détournée. L'hypothèse "je-le-mène-en-bateau-en-parlant-d'un-Karnevale-n'ayant-rien-à-voir-avec-la-situation" était totalement exclue, sa piètre performance de tout à l'heure avait suffit. L'Opalien était un habile trompeur, difficile donc à tromper. La réponse du jeune homme la décida. Lawena pensait avoir compris le message : il n'hésiterait pas à utiliser son pouvoir, quel qu'il soit, si jamais elle tentait quoi que ce soit qui dérangerait ses plans concernant Scarlet. Ah, il utilisait de simples réponses aux questions de Scarlet pour faire comprendre des choses à la bibliovore verte ? Il allait voir qu'elle aussi pouvait être douée à ce petit jeu…

- A vrai dire, Carlie, je n'y avais jamais vraiment réfléchi… Mais je crois que mon avis serait plus proche de celui de Siam que du tien, je n'aurais pas aimé choisir… Je considère mon Karnevale comme une partie de moi, au même titre que mon nez ou mes mains. Tu imagines si on devait choisir tout ça ? Pourtant, je ne pense pas que j'aurais préféré ne pas l'avoir, si on ne m'avait donné que ce choix. Après tout, savoir détecter les mensonges, c'est bien pratique ! Ça permet de savoir quelles sont les personnes qui méritent qu'on s'y intéresse… Ou pas.

Cette fois, ce fut elle qui jeta un regard à Siam, rapide, juste pour vérifier qu'il avait compris… Et c'était le cas. Elle reprit donc :

- Par exemple, je ne te l'ai jamais raconté, mais c'est un peu grâce à mon Karnevale que je t'ai parlé, la première fois… Tu étais bien une des rares personnes que j'ai jamais vu à être sincère en disant "j'espère qu'il vous plaira !", et ça m'a fait plaisir, donc j'ai engagé la conversation… Non, vraiment, je suis tout à fait satisfaite de mon sort ! La seule chose que j'aimerais bien, c'est pouvoir connaître la vérité quand j'entends un mensonge, savoir pourquoi la personne ment… Mais je crois qu'il ne faut pas trop en demander !

Les deux dernières phrases lui avaient échappé, mais finalement c'était tant mieux. Quitte à jouer franc jeu, autant le faire jusqu'au bout. Gagner la confiance de l'ennemi pour mieux le connaître… Et ensuite le combattre correctement. Bon, certes, là ça ne risquait pas de l'avancer à grand-chose, Siam ne semblait pas disposé à tout déballer aussi. Mais tant pis.

Elle porta de nouveau sa tasse à sa bouche… Pour s'apercevoir qu'elle était vide. Rah, les bonnes choses, décidément, c'est comme les bons moments, ça passe trop vite. Seulement, pour en rester aux dictons frustrants, il ne faut pas abuser de ces mêmes bonnes choses… Et c'est pour cela que Lawena renonça à commander un deuxième capuccino quand le serveur revint avec la nouvelle commande de Scarlet.

De toute façon, vu comme Siam regardait dehors, il était évident qu'ils n'allaient pas s'éterniser ici… La bibliovore soupira puis jeta un coup d'œil par la fenêtre. Avec l'arrêt de la pluie, les gens étaient ressortis et la rue se remplissait peu à peu. Sur le trottoir d'en face, une bande de gamins d'environ douze ou treize ans faisaient les imbéciles avec des skates volants (fruit de la technologie alzienne, ces planches à propulsion aérodynamiques faisaient fureur depuis des années auprès des garçons pré-pubères). D'après ce qu'elle pouvait entendre de leurs cris, l'un d'entre eux (sans doute le meneur, une espèce d'hurluberlu blond avec la tête hérissée de piques) avait réussi à modifier sa planche pour qu'elle aille plus vite, en faisant encore plus de bruit que normalement et, comble du ridic… Du style, elle faisait de la lumière sur les côtés. Bref, toute la petite bande était aux anges, poussant des "wow !" et des "dément !" à chaque accélération de l'engin qui semblait fonctionner à merveille en dépit du tripatouillage amateur dont il avait été l'objet. A merveille ? Mémo personnel, ne jamais parler trop vite. Après un virage serré-hyper-trop-top-périlleux-de-la-mort-qui-déchire-sa-grand-mère, les petites lampes se mirent à cracher des étincelles, avant que le moteur ne s'y mette lui aussi. Le garçon perdit le contrôle de sa planche, qui décida qu'elle en avait assez de recevoir des ordres et partit en vrille, littéralement parlant. Sa folie agonisante la mena droit (enfin, façon de parler, elle faisait plutôt des tours en se déportant de plus en plus sur le côté….) de l'autre côté de la rue, avant de finir sa vie de jouet pour collégien en se coinçant dans l'ouverture de la fenêtre, tandis que son conducteur, emporté par son élan, venait s'écraser sur la table où subsistait encore les contenant des boissons de Siam, Scarlet et Lawena…

[désolée du retard, et aussi de la fin pas terrible... j'espère que ça vous inspirera !]

Ce fut la seconde fois de la journée.

A croire que quelqu'un voulait vraiment dégrader mon image. J'étais rouge de honte, comme d'habitude, mais également rouge de colère. Il demeurait ardu pour moi d'arriver à un certain degré de perfection, aussi impressionnant soit-il, car l'ensemble de mon être reste d'une parfaite asymétrie entièrement humiliante. Je suis trop grande face aux gens qui m'entourent, la plupart de mes amies faisant une tête de moins, et cela me complexe, je ne suis pas un homme après tout ! J'aime par-dessus toute ma chevelure violine néanmoins sa longueur, extrêmement féminine, accentue ma minceur, pour ne pas dire ma maigreur. Ce n'est pas de ma faute si mon régime alimentaire ne comprend que du riz et du poisson, néanmoins cela n'a pas changé ma poitrine d'une opulence sans nom. 90 F ! Quelle demoiselle élégante possède une aussi imposante gorge ? Aucune. Elle s'apparente plus à l'animal qu'au genre humain, à mon immense regret...

- Comment ?!

Le pire est que nombreuses de mes clientes, certaines femmes dans la rue, me jalousent pour ce critère ! Pauvre malheureuse ! C'est beaucoup trop...sensuel pour moi qui aspire à la pureté et la grâce d'une sainte. Et ces hommes qui ne se gênent pas pour la dévorer des yeux, comme des charognes insensibles. Dans ce monde de modernité, il n'existe décidément plus de place pour la volupté et la décence. En parlant de décence, c'était désormais la mienne qui se trouvait mise à mal : mes cheveux ondulés auparavant avaient foncés et trempaient de sirop à la violette ; mon corset dès lors apparent dévoilait une intimité révoltante ; mes rubans échoués sur le sol pâlissaient à vue d'oeil. Je crus que mon cauchemar était terminé lorsque mon cache oeil tomba dans mes mains, dévoilant un secret que je ne pouvais tolérer. Mon oeil, dont la pupille blanche reçue pour la première fois depuis des mois la lumière du jour, bien qu'elle lui fut inutile, puisqu'il ne pourrait en aucun cas distinguer autre chose du monde extérieur.

- Hey ! Ils sont trop classes vos yeux ! Ce sont des lentilles ?

- Mademoiselle ?

Ma seule réaction fut d'attraper de ma main droite son cou et de le serrer violemment tout en le regardant droit dans les yeux. Classes ! Classes ! Un tel mensonge m'écoeurait comme jamais. Je haïssais le mensonge plus que n'importe qui, tant ma vie en avait été ponctuée durant deux années de malheur. Toutefois, j'étais incapable de le voir, de le deviner chez les autres, fait qui m'énervait parfaitement insupportable les trois quarts du temps. Cette fois-là, demeurait différente : je savais qu'il mentait. Il ne pouvait que mentir. Mes ongles s'enfoncèrent un peu plus tandis que je resserrais l'étreinte : il ne méritait qu'une seule chose, la mort. Pour avoir révélé au monde entier ma plus grande faiblesse, celle que je n'avais jamais pu avouer à personne, pas même à Siam et Lawena qui le découvrait pour la première fois. J'avais déjà dormi chez ma grande soeur, malgré tout je m'obligeais à ne lui montrer que mon cache oeil en permanence. Au plus profond de moi, j'étais persuadé que s'il le voyait, ils ne voudraient plus de moi. La poupée à la pupille laiteuse.

- Classes ?! J'espère que tu te moques de moi ! Comment veux-tu que je puisse accepter ce que tu viens de dire ? Tu n'es qu'un misérable vaurien, un gamin de pacotille qui ne sait pas quand il faut fermer la bouche.

- S'il te plait...lâche moi...

- C'est moi qui décide, si j'ai envie de te lâcher. N'inverse pas les rôles.

Non. Impossible. Le feu qui brûlait en moi se matérialisa soudain sur sa veste qui prenait fin alors qu'il commençait à suffoquer. Je le vis s'affoler avec une jouissance grandissante, ma main l'empêchant de se débattre. Mon illusion ne l'incendiait pas au sens propre, puisque le feu en lui même n'existait pas réellement, néanmoins sa peur n'en demeurait pas moins réelle et croissante. Il arrivait souvent que mon inconscient échange sa place pour faire de mes désirs des réalités, enfin façon de parler. Je n'étais pas un monstre, ma colère devint rapidement froide et m'autorisa à lâcher mon emprise où la marque de mes ongles sur sa peau avait laissé une marque indélébile. La patronne vint pour retirer la veste enflammée et descendre le jeune homme du semblant de table encore présent dans la pièce. Je me levais, raide comme un bâton, pris un autre parapluie que j'avais pris soin de faire apparaître sous ma chaise pour détourner l'attention et quittais la pièce avec mépris. Mes pas restaient lents et réguliers tandis que je me dirigeais vers la sortie.

- Qu'importe leur apparence et les mots qu'ils usent, les hommes ne sont que des nuisibles. Des misérables cafards qu'il faudrait exterminer jusqu'au dernier.

Je mirais le regard de Siam et Lawena. Pour la première fois, celui de mon prince me parut hypocrite. Je détournais la tête face à cette constatation qui m'épouvantait.

Spoiler:

[ HJ : Alors là, j'ai envie de dire un gros WTF. Parce que franchement, vous venez de me donner matière à écrire ! Lawy qui donne son Karnevale, Scarly qui se démistifie ! Rah ! Je réponds tout de suite, tiens ! ]

La pipe de Siam vola dans les airs. Tout s'était passé en un éclair. Eclats de verre. Eclats de voix. Eclats de café, de sirop. Un jeune homme glissa. De tout son long. Les tasses et la coupe explosèrent par terre en mille morceaux. Des dizaines de regards se tournèrent dans leur direction. La pipe de Siam finit sa course dans une choppe de bière, quelques mètres plus loin. Les étincelles de tabac enflammèrent l'alcool dans un bruit assourdissant. Un serveur se précipita sur la table, un extincteur haute technologie à la main.
Quelques minutes plus tard, la table du client était recouverte d'une mousse violacée, semblable à de la neige. Siam lança un regard étonné à Lawena qui affichait un regard aussi incrédule que lui. Instinctivement, ils s'étaient éloignés de la table, mais pas assez pour éviter l'explosion des boissons.

La suite fut d'un délire total. Siam en aurait rit, s'il avait repris contenance plus rapidement. Scarlet s'emporta contre le jeune garçon, et entreprit de l'étrangler comme une furie. L'Opalien y reconnut un trait de caractère similaire au sien : l'envie permanente de dominer, et de se faire remarquer. Ce sentiment orgueilleux prenait naissance dans le vallon ombré de ses seins extravagants et se poursuivait jusqu'à la pointe de ses mèches parme. Séduisante, attirante, édulcorée et terriblement naïve. La perle de jeu par excellence du manipulateur renfermait en son être attrayant un caractère fort qui ne faisait en vérité que cacher une sensibilité extrême. En effet, quelques dizaines de secondes plus tard, le garçon se ratatina à terre, retenu par la patronne du magasin qui le dépouilla de sa veste enflammée.
Scarly était pyromane ou actrice, dans une autre vie, pensa Siam en dissimulant un sourire songeur.

Plusieurs clients s'étaient levés afin de venir en aide aux malheureux. Scarlet ne se laissa pas faire. Saisissant un parapluie qu'elle avait fait apparaître, elle se dirigea vers la sortie du magasin, brûlante d'un mépris niaisement joué. C'est la vie Scarly, on ne peut pas jouer parfaitement un rôle si on ne possède pas un minimum les traits de caractère du personnage.
Siam se leva alors, prêt à entrer en scène. Il jeta un regard à Lawena et se pencha dans sa direction.

- Je retiens ton Karnevale, Lawena. Je crois que toi et moi avons beaucoup à nous dire.

Il entrouvrit ses lèvres et laissa passer quelques muscles d'une jolie langue rose qui ne demandait qu'à l'embrasser. Au dernier moment, il se redressa. Ce n'était pas le moment de faiblir : il fallait se montrer sérieux et confiant. Tout n’était pas perdu. Lawena pouvait encore changer d’avis, elle ferait une excellente alliée. Il suffisait de la convaincre. Quand bien même elle confierait ses soupçons à Scarlet – parfaitement fondés, cela dit – celle-ci était trop bornée, et trop admirative envers lui pour la croire. Malgré sa présente colère, elle l’aimait encore bien trop pour le rejeter.
Siam se glissa entre les chaises et les tables, sous les regards de la clientèle muée dans un silence étouffant. Il se dirigea en direction de la table mousseuse et plongea sa main dans la bière, tâchant encore davantage son vêtement déjà maculé de sirop cramoisi. Il récupéra sa pipe d’un geste habile et la secoua afin de faire couler le liquide qui la remplissait. Quelques copeaux de tabac et d’autres drogues s’écoulèrent par le bec de l’objet et Siam s’en trouva éconduit. Gaspiller une marchandise aussi onéreuse…

Alors qu’il essuyait sa pipe sur un pan de sa chemise qui n’était pas tâché, il entendit la patronne du café prier d’une froide courtoisie à Scarlet de prendre congé. Il devina, en embrassant la jeune femme, que cette remarque s’adressait également à lui ainsi qu’à Lawena. Il haussa les épaules avant de s’incliner dans sa direction. Il était de toute façon dans ses projets de partir sous peu.

- Tu reviendras me voir quand tu seras calmée, Scarly Chérie.

Il regarda Scarlet s’éloigner dans un ballet de volants parme, tâchés de rose, puis s’avança lui aussi en direction de la sortie. Il passa à côté du serveur portant l’extincteur et le saisit par le bras. Celui-ci laissa échapper un gémissement étranglé avant de le suivre docilement. Se saisissant de son jouet, l’enfant se massa légèrement le cou avant de sortir à son tour en titubant. Arrivé sur le pas de la porte, Siam se tourna en direction de Lawena.

- Ravi d’avoir fait ta connaissance, Lawena. On se voit à la Course des Vents.

Il disparut à son tour dans la lumière du soleil qui perçait les nuages de son halo doré.
Arrivé au coin de la rue, il se tourna vers le serveur et le jeune enfant. Chacun tenait son instrument sous son bras, comme des militaires au garde à vous. Siam leur adressa un sourire et plongea sa main dans une de ses poches, avant de se détourner définitivement. Alors qu’il tournait au coin de la rue, l’enfant et le serveur se séparèrent, serrant chacun un billet dans sa main.

[A la semaine prochaine ♥]

Lawena resta quelques instants assise sans bouger, histoire de laisser à son cerveau le temps d'enregistrer les données des évènements qui s'étaient déroulés durant ces dernières minutes – l'analyse viendrait plus tard, quand elle serait au calme…

***

D'abord, il y avait eu cette espèce de gamin blond qui avait atterri sur leur table, provoquant un déluge de débris divers. Comme elle l'avait plus ou moins vu arriver du coin de l'œil, Lawena avait eu le réflexe de reculer sa chaise un minimum, même si cela ne lui avait pas épargné d'être trempée d'un subtil mélange de café et de sirop. Quelques morceaux de sa tasse avaient fini leur course sur ses pieds mais, globalement, la bibliovore s'en sortait plutôt bien. Ce constat fait, elle leva les yeux qu'elle avait jusque là gardés fixés sur l'adolescent étalé au milieu des restes de la table, pour s'apercevoir que sa petite sœur avait eu moins de chance qu'elle… En effet, Carlie était dans un tel état que Lawena pensait qu'elle n'allait pas tarder à exploser. Elle qui recherchait toujours la perfection en était à ce moment-là aussi éloignée que possible, au vu de ses critères. Ses cheveux, tout à l'heure si bien coiffés, dégoulinaient, trempés, et collaient à son visage. Sa robe, déjà malmenée par l'incident de tout à l'heure, était dans un état pire encore. Mais ce qui surprenait le plus Lawena et devait également le plus déranger Scarlet, c'était la chute du cache-œil… C'était la première fois qu'elle découvrait ce qui se cachait en-dessous, et elle ne pouvait s'empêcher d'être fascinée. Plus d'une fois, elle s'était interrogée sur ce que dissimulait le morceau de tissu, sans jamais rien demander. Le sujet était tabou, délicat, on n'en parlait pas, point. Jusqu'à aujourd'hui…

Mais c’était surtout la première que Lawena voyait sa petite sœur aussi en colère. Etait-ce lié à la perte de son cache-œil ? Peut-être, peut-être pas, sans doute… La remarque du gamin avait aussi sa responsabilité. Pauvre petit, comment aurait-il pu deviner que ce simples paroles mettraient le feu aux poudres ? Et Lawena qui pensait être au bout des surprises qui l’attendaient ce jour-là… Elle en était encore loin.
Quand la main de Scarlet se referma sur le cou de l’adolescent, elle fut trop médusée pour avoir la moindre réaction, et ne put qu’observer la scène qui se déroulait devant ses yeux comme s’il s’agissait d’un film dont elle aurait été la simple spectatrice. De même, quand les flammes jaillirent de l’imagination pour courir sur le corps et la veste du garçon, elle ne put que les fixer, hypnotisée. Ah, dans la liste des premières fois concernant Carlie, elle pouvait rajouter l’utilisation de ses illusions dans le but conscient de faire du mal à quelqu’un…

Ce ne fut que lorsque la patronne vint au secours du pauvre gamin que Lawena reprit ses esprits. Elle en profita pour jeter un coup d’œil à Siam et constata que, tout bon acteur qu’il fut, il n’en semblait pas moins surpris. Apparemment, elle n’était pas la seule à n’avoir jamais vu Scarlet dans cet état…Quand celle-ci sortit, Lawena était sur le point de se lever pour la suivre quand Siam se planta devant elle. Les mots qu’il prononça alors la firent frissonner intérieurement. Que voulait-il dire ? Avait-elle eu tort, tout à l’heure, en lui révélant en quoi consistait son pouvoir ? Cependant, ses réflexions furent interrompues par le geste que le jeune homme esquissa, sans néanmoins aller jusqu’au bout. Tout au fond d’elle, une petite voix lui criait : "Hé ho ! Secoue-toi ! Il est sur le point de t’embrasser là ! Fais quelque chose ! Qu’est-ce que t’attend ? Je sais pas moi, fous-y un coup de sac ! C’est bien pour ce genre de cas que tu te balades toujours avec un pavé de mille pages, non ?" Heureusement pour le visage de Siam, avant même qu’elle ait eu le temps de commencer à tendre la main vers le sac en question, posé à ses pieds, l’Opalien s’était redressé et se dirigeait lui aussi vers la sortie.

C’est alors qu’elle s’aperçut qu’elle était la dernière encore assise à côté du cadavre de leur table, et surtout que les deux autres étaient partis sans payer… Elle s’acquitta donc de cette tache, assurant au passage à la patronne qu’elle était "vraiment désolée pour l’incident" et qu’il fallait "excuser son amie qui s’était emportée pour une raison très personnelle". Ceci fait, elle rejoignit Scarlet au moment où Siam prenait congé des deux jeunes filles. Quand il fut parti, elle se tourna vers sa petite sœur, son enthousiasme légèrement regonflé par le départ du jeune homme, mais cependant teinté d’une pointe d’inquiétude :

- Rassure-moi, Carlie, tu viens toujours dormir chez moi ce soir, comme on avait prévu ? Je ne voudrais pas que cet incident idiot nous gâche notre soirée entre filles… Surtout que j’avais fait le ménage à fond dans l’appartement, pour que tu sois bien ! Mais bon, au pire, si tu ne veux plus, je te raccompagne chez toi…

Tout en parlant, elle s’était mise en marche, suivie par Scarlet.

- Oh, d’ailleurs, je viens d’y penser, j’avais quelque chose pour toi, mais j’ai oublié de te le donner ! Attends, je l’ai dans mon sac…

Voulant chercher l’objet en question, Lawena tendit la main vers son sac… Pour se rendre compte qu’il ne pendait pas à son épaule droite, comme d’habitude. Ni à la gauche, d’ailleurs. Elle élimina un rapidement toutes les hypothèses pouvant expliquer cette disparition spontanée (comme par exemple le fait qu’il se soit dématérialisé pour réapparaître quelque part sur Sphera, ou la suggestion farfelue qu’il lui ait été volé par des extra-sphériens étudiant la manière de vivre des hommes) pour se rendre à l’évidence : elle l’avait tout simplement oublié au café. Evidemment. Avec le tout se grabuge, se pencher sous sa chaise pour récupérer le passage vers une nouvelle dimension qui lui servait d’avaleur à bazar en partant ne lui avait même pas effleuré l’esprit. Même pour payer, elle n’en avait pas eu besoin, son porte-monnaie étant bien sagement rangé dans sa poche… Prenant conscience de tout cela en même temps, elle s’arrêta brusquement.

- Petite sœur… Tu vas encore te moquer de moi… J’ai oublié mon sac au café… Continue à avancer sans moi, je vais le chercher et je te rejoins ! A tout de suite !

Sitôt dit, sitôt fait, elle tourna les talons et s’éloigna rapidement. En arrivant sur le lieu des drames et de son oubli, Lawena se sentit comme écrasée sous le poids des regards assassins que lui lançaient la patronne et les employés, occupés à nettoyer les dernières traces de la catastrophe.

- Pardon de vous déranger à nouveau, mais j’ai oublié mon… Ah, vous l’avez trouvé, merci beaucoup !

Elle adressa un sourire à la serveuse qui lui tendait son sac puis sortit, définitivement cette fois-ci. En passant la porte, elle aperçut Siam qui s’éloignait au bout de la rue. Prise d’une impulsion subite, elle se mit à courir et, quand elle fut à portée de voix, l’appela. L’Opalien se retourna au moment où le soleil perçait les nuages, l nimbant d’une aura dorée et, pendant un court instant, Lawena se surprit à regretter qu’il ne l’ait pas réellement embrassée lorsqu’il avait failli le faire tout à l’heure. Cependant, cette pensée ne fit que la traverser, et elle la chassa bien vite, se concentrant sur ce qu’elle avait en tête.

- Je suis d’accord avec toi quand tu dis que nous avons beaucoup à nous dire. Par exemple, tu pourrais m’expliquer ce que tu manigances au sujet de Scarlet… Ou ce que tu entendais par "je retiens ton Karnevale". Et pas d’entourloupe s’il te plaît, tu as sans doute compris qu’avec moi ça ne fonctionnait pas.

Elle le fixa dans les yeux, puis reprit :

- Mais pas aujourd’hui, je n’ai pas le temps. Parce que ça sera long, n’est-ce pas ? De toute façon, je dois rejoindre Scarlet. Ce que je te propose, c’est qu’on se revoit, seulement tous les deux. Là, on pourra parler. Qu’en dis-tu ? Est-ce que ça te convient ?

Elle se tut, guettant une réaction sur le visage de l’Opalien.

[Voilà ! Je crois que j'étais particulièrement inspirée cette fois... Désolée d'avoir mis un peu de temps pour poster, je trouvais jamais le temps de taper --']

De l'autre côté de la rue, une enfant était seule sur banc, un ballon rouge à la main.
Elle attendait.

Moi aussi, j'attends depuis de longues minutes le retour de Lawena. Elle reviendra, c'est elle-même qui l'a dit et ma grande soeur ne ment jamais. Je doute. Je me rends compte qu'il existe pleins de choses pour lesquelles je répondais par une évidence néanmoins ne dit-on pas que rien n'est impossible ? J'aime affirmer, car les vérités générales demeurent des faits qui rassurent : le ciel est bleu et l'eau bout à cent degrés. Pour moi, une famille reste toujours unie quoiqu'il se passe, les hommes détruisent tout ce qu'il touche et mes amies ne me trahiraient sous aucun prétexte. Bien entendu, des exceptions peuvent avoir lieu...toutefois elles ne me concernent pas. Je veux contrôler ce que je fais, ce je vois, ce que je connais. Chaque mouvement effectué est continuellement analysé dans son ensemble, sauf lorsque mes émotions prennent le dessus ; chaque parole fait l'objet d'une réflexion approfondie sur ses conséquences ; chaque émotion doit être conforme à ce que je suis : une adorable petite fille.

Ses cheveux étaient désordonnés et la jupe qu'elle portait était défraîchie. Elle pleurait.

J'aime lire, la nature, la voix d'Hazel lorsqu'elle chante, le rire de Siam. Je suis fatiguée de vouloir être parfaite tout le temps. De toute manière, mon défaut suprême a déjà été révélé, je ne vois pas ce qui pourrait arriver de pire. J'éternue plusieurs fois, j'ai froid. Se faire reverser du sirop à la violette à tout bout de champ va me rendre malade. D'une main tremblante, j'essore ma chevelure trempée jusqu'à l'os. L'eau coule comme un petit ruisseau sur le béton, c'est poétique et en même temps, légèrement pathétique. Avec l'un de mes rubans, je procède à l'élaboration d'un chignon relevé dont moi seule ait le secret : distingué et négligé à la fois. Toute la colère qui m'envahissait a disparu pour laisser place à l'angoisse. Parce que je déteste être seule trop longtemps et que Lawena ne revient pas. Que lui ait-il arrivé ? A-t-elle croisé mon tendre ami ? Que se disent-ils ?

Ses pleurs me donnait le mal de l'air et comme un écho lointain, je pris peur tout à coup.

- Lawena ! Lawena ! Lawena !

Je criais à en perdre haleine en direction du bar puis finit par me perdre.
Cette rue, fallait-elle la prendre à droite ou à gauche ?

- Grande soeur, où es-tu ?

Ma respiration inégale m'empêchait de courir correctement. Après quelques essais, je tombais face à une étrange situation. Lawena, son sac à la main, attendant visiblement quelque chose de celui qui m'apaisait tant. Un silence absolu régnait, mais pourquoi ? Mon instinct de conservation me donna l'ordre de faire ce que je sais faire de mieux dans la vie : nier le conflit. Tout en prenant un sourire radieux, je courrais en direction de la délicieuse jeune femme aux cheveux verts pour la prendre dans mes bras, par derrière. La serrer de plus en plus fort me fit un bien fou. Comme si nous avions été séparé depuis une décennie et que c'était enfin les retrouvailles. De la joie à l'état pur. Voilà ce que je voulais montrer. Je sortis ma tête du côté droit tout en la lâchant progressivement avant de faufiler ma main dans la sienne et d'annoncer doucement :

- Je comprends pourquoi tu étais si longue ! Quand on parle avec Mr Pain, on ne voit pas le temps passer. Ce n'est pas tout, mais il faut que l'on y aille, Lawy. J'ai plein de choses encore à te raconter, eh puis, comme je vais dormir chez toi, on va pouvoir bien rigoler !

En réalité, le ton employé n'attendait pas de réponse, juste une approbation. J'avais un dernier message à laisser à Siam, histoire qu'il comprenne les évènements antérieurs. Après avoir posé mes lèvres délicatement sur sa joue, je murmurais à son oreille :

- Je l'aurais tué si tu n'avais pas été là.

Je ne mentais pas. Je n'ai jamais su mentir. Je ne pourrais jamais lui mentir. Ce garçon avait franchi une ligne, brisant un fil en moi. Ma gentillesse ne marchait pas pour les menteurs, surtout pour révéler au grand jour mes faiblesses profondes. Ainsi une nouvelle morale naissait. Sa mort m'aurait paru justice mais j'aurais eu peur qu'un être aussi parfait que lui me déteste d'avoir réduit en cendre une vie humaine. Lawena m'aurait pardonné mais je n'aurais jamais pu supporter d'être séparée de l'être dont je dépendais le plus. Le voir m'était vital, et cela finirait un jour par me tuer. En attendant, je partis avec ma confidente en direction de son appartement, sans me retourner une seule fois. La perspective de cette soirée me réjouissait à nouveau.

Spoiler:

Il lui avait donné rendez-vous dans les semaines suivantes, à cette heure. Il la dévorerait après la course des vents. Pas avant, pas après. Il y serait. Siam Pain avait toujours été ponctuel. Tenant lui aussi à cette rencontre, il avait préféré qu'elle n'oublie pas et, à la hâte avait griffonné la date et l'heure des réjouissances sur un petit bout de parchemin déniché dans le fond d'une de ses poches, avec une mine de plomb dure et grasse. Elle l'avait glissé dans son sac, déjà dégoutée par l'odeur aigre et vieillie du papier archaïque. Alors qu'un rayon de soleil perçait timidement la couche cotonneuse de nuages gris, elle le regardait de nouveau s'éloigner, comme s'il était pressé de quitter les lieux. Mauvais acteur, piètre pièce. Le rideau s'était abattu sur lui dans un nuage de poussière, le ronronnement des aéronefs, au dessus de leurs têtes.

De petits sauts excités, la fille aux cheveux de grenouilles, sautillant, bondissant dans la foule, avait fait un bref retour au bar pour reprendre un sac qu'elle avait oublié. Puis elle avait repris sa place arrogante de garde du corps auprès de la Poupée Absolem. Scarlet, Carlie Chérie, mon Ange de Porcelaine, tu ne perds rien pour attendre. Tu sais, au plus profond de ton petit cœur de cire, si doux, si fragile, que Lawena ne sera toujours à tes côtés pour te protéger. Et pourtant, voilà l'incident évanoui comme les flammes mourantes de ta colère éphémère. Tu n'avais pas menti, tu n'a jamais su mentir. Mais tu n'as pas tué, et tu ne sauras jamais tuer, Chérie. Telle est la volonté de Siam Pain. Et puisque ta peine semble avoir évacué ton squelette poli, et que le parfum de ta bonne humeur imprègne de nouveau tes rubans, tu viendras de nouveau fourrer tes boucles parme dans sa poitrine.
Lui, ton Prince, ton Sauveur.

Elles s'en allaient gaiement, sans souvenirs de l'incident passé, sous un soleil encore fort et orgueilleux. L'après-midi avait encore des mailles temporelles à tricoter. Et lui, voguant dans ses rêves cyniques comme dans les plis exotiques de ses vêtements, il s'en allait d'un pas vif et assuré.
Cette conversation avec Lawena promettait d'être intéressante, et il lui tardait d'y tenir son rôle. Toutes les cartes n'étaient pas jouées, quand bien même l'Alzénienne faisait preuve d'une étonnante lucidité, pour une gamine de son âge. Futée, la gamine, mais tellement sensible et généreuse, dans le fond. Après tout, l'on s'attire ceux qui nous ressemble, n'est-il pas ?

Siam Pain pénétrait dans la grand place d'Alzen, fleurie de fontaines futuristes et de boutiques toute droit sorties du fin fond d'une galaxie science-fictive. Il allait y retrouver son ami Sven Fiocco. Il pressa son pas, soudain plus avide et joyeux. Il avait tant de choses à conter à cet amant de luxe, qui pourrait peut-être lui donner quelques conseils...

Poupée Absolem, tu ne perds rien pour attendre.
Tu n'as pas menti, tu n'as jamais su mentir.

Tu ne me détestes pas, tu ne sauras jamais me détester.
Tu es en mon pouvoir, tu ne sauras jamais t'en défaire.

Le soleil trancha les nuages, comme un sourire sur son visage.

Telle est la volonté de Siam Pain.

[SUJET CLOS]