Massacre à la centrifugeuse.
Me and Mrs Jones...

Le jus de concombre, c'est pour les tafioles.

Kerry le savait bien. Il n'en doutait pas un seul instant. Ce petit péché mignon le perdrait, un jour. Puis de toute façon, ça n'avait pas vraiment bon goût... Surtout qu'il y rajoutait tout ce qu'il trouvait dans ses placards et que ça finissait souvent en potion magique. Bref, il venait de coincer deux gros concombres dans son mixeur, et l'avait goulument accompagné du fond de ses tiroirs – exclusivement composé de poussières, de miettes et de quelques pâtes abandonnées – ainsi que d'un bout de viande qui traînait dans le frigo. Il essaya de fermer le mixeur mais les concombres l'en empêchait. Haussant les épaules, il l'alluma quand même et s'éloigna, évitant de justesse une bouillasse verte qui s'amusait à rebondir sur les murs.
Le scientifique haussa en sourcil en observant des petites pattes gigoter dans une des flaques verdâtres gisant sur le sol. Tiens donc. Une mouche était tombée dedans ?... Bah, ça lui ferait les protéines de la journée, hein. Il bailla. Est-ce que c'était comestible, les mouches ? C'est vrai qu'en général, ce genre de bestioles traînait souvent dans plein de trucs sales... Genre, c'est connu : les mouches, ça mange du caca. Est-ce qu'en mangeant de la bouillie de mouche on mangeait du caca ? Tout en sortant de la cuisine – Syd, son colocataire, allait encore faire la tronche s'il le voyait se promener en slip dans l'habitat –, il attrapa son baladeur qui gisait sur une étagère diverse et planta les deux écouteurs dans ses oreilles.
Il l'alluma.
Il fit un bond.
Le son se déversait sans pitié dans ses pauvres tympans, faisant vibrer son pauvre petit corps mou au rythme de la batterie, déconnectant le peu de neurones encore à la tâche avec les hurlements bestiaux. Moralité : ne jamais éteindre son baladeur alors qu'on écoutait du metal. Parce qu'après, quand on l'allume et que ça remet automatiquement, on tombe, comme Kerry, en état de choc. Bref, monsieur baissa le son, tout penaud, et rampa piteusement dans l'escalier, tremblant comme une feuille d'arbre en mode vibreur. Il se faufila dans sa chambre sans prendre le temps d'allumer la lumière (la flemme, quoi.), prit quelque chose qui avait la forme d'un pantalon ainsi qu'un truc qui ressemblait à une chemise et les enfila. Ce n'est qu'en retournant à la lumière du soleil qu'il découvrit qu'il portait sa blouse de travail et un short moulant. Un peu trop moulant. Bah, peut-être que c'était à Syd... De toute façon, le scientifique avait l'intention de rester à la maison aujourd'hui, alors c'était pas vraiment grave.
Il se traîna dans les escaliers, sur un air assez doux. La chanson qu'il écoutait était une de ces antiquités datant d'on-ne-sait quand, qu'il avait téléchargée illégalement il y a quelques jours, parce qu'un collègue n'arrêtait pas de la chanter et qu'il l'avait dans la tête du coup. Puis, c'était rigolo comme chanson, entraînant, charmant, inhabituel, enfin voilà quoi.
Mais peut-être était-elle trop entraînante.
Kerry s'élança dans sa cuisine, une cuillère à soupe dans la main.

« Me and Mrs Jooooooones ! » brailla-t-il en écartant les bras, chantant faux comme pas possible.

Il prit une petite pose de charmeur – genre, comme Aaron il faisait à ses clientes – et ajouta avec un petit sourire, fixant son frigo comme si c'était une jolie dame.

« We got a thiiiiing... gooiiing oooon... »

Soudain, il fut interrompu par un baboum, et une série de cris assourdissants. Il tourna la tête vers le reste de sa cuisine, vaguement recouvert d'une substance verte étrange. Tiens ? Mais où était donc passé son mixeur ?
…
Nooon...?

Paniqué, le scientifique se précipita dans la rue, et observa le cadavre en se mordant les doigts. Il piétina sur place, jeta des regards apeurés, puis finit par se jeter à genoux devant la scène, pleurant comme un damné.

« NAAAAAAN ! Robertooooooooooo ! »

Il ne put réprimer quelques larmes, et dut se servir des longs cheveux blonds d'une passante pour se moucher.

« Tu m'étais tellement pratique ! Dire que c'était toi qui faisais tous mes jus de concombre ! Mon pauvre, pauvre Roberto... Désormais, plus rien ne pourra te réparer... Je suis sûr que même Holystone Électroménager ne pourra pas te réparer... Bouh... »

Abattu, il vida une fois de plus son nez de sa morve dans les cheveux blonds de la pauvre passante. Puis il finit par prêter tout de même un peu d'attention à ladite passante. Il se pencha vers elle, renifla bruyamment et lui demanda :

« Vous aussi, vous étiez une proche de Roberto ? »

[Madame voulait de la WTFness. Eh bien madame est servie. ♥ Sinon, au cas où tu te poserais la question, oui, Roberto c'est le mixeur. Et la passante, c'est toi. Oui oui, moi aussi je m'aime =D ]