Un mariage à Alzen

Ma chambre d'hôtel donnait sur les jardins suspendus d'Alzen. Une vue charmante en elle même si seulement des gamins ne passaient pas en vrombissant furieusement sur leurs bolides toutes les dix minutes. Et, malgré les efforts répétés de la part du gérant pour les éloigner, les pilotes en herbe revenant toujours plus vite et plus nombreux pour finir en véritable essaim mécanique. Je poussai un soupir et m'écartai de la fenêtre pour revenir face au miroir. Mes cheveux blonds avaient pris, depuis que je sortais au soleil, un couleur presque orangée – à moins que ce ne soit à cause de la nourriture étrange que j'absorbais à Alzen ? Quant à leur aspect général, j'avais tenté de diminuer (vainement) l'impression de désordre qu'ils dégageaient. Les cernes sous mes yeux avaient disparu, et le teint blafard qu'on me connaissait désormais s'oubliait vite devant un sourire stupide figé sur mes lèvres. J'étais absolument incapable de le faire disparaître, mais il ne fallait pas m'en vouloir, j'allais à un mariage tout de même. Et pas n'importe lequel : celui de l'un de mes plus vieux amis ! J'avais, pour l'occasion acheté chez un très bon tailleur de la cité volante un costume crème et une chemise en lin kaki. Pour une fois j'avais tenté de faire dans l'originalité et m'étais détaché de mon éternel pantalon noir dont on me reprochait parfois l'élégance quelque peu morbide. Mais à vrai dire, je n'étais pas très à l'aise dans mes nouveaux vêtements clairs qui cachaient assez mal la certaine maigreur de mon corps.

Mais trêve de bavardage, je n'allais pas à un défilé de mode et le moindre retard ne m'étais pas permis. Il fallait que je me hâte où Maxime allait m'assassiner à coup de pièce montée. Je me saisis de mon sabre d'apparat et nouai le fourreau doré contre la hanche. J'enfilais les gants de cuir brun que j'avais laissé sur le rebord d'une commode et adressai un dernier regard à la glace. Mon allure me déçut. Je ressemblais à un explorateur du dimanche, perdu dans Almencar, un jouet en plastique en guise d'arme. J'avais un vague envie de me faire harakiri avec d'ailleurs. Mais j'allais être en retard ! Il fallait que je me bouge !

En me précipitant hors de la chambre je glissai dans l'envers de ma veste mon portefeuille et les clés de ma chambre. Je fermai derrière moi la porte puis dévalai l'escalier quatre à quatre. Avec une agilité douteuse je sautai les dernières marches du hall sous les yeux ahuris d'un groom qui crut, je pense, que j'allais me casser quelque chose. Mais alors que je filai tel le vent en direction des portes vitrées de la sortie quelque chose me frappa.... le cadeau de mariage ! Dans la chambre ! Je m'immobilisai, réfléchis un instant, puis fit demi tour pour gravir à toute vitesse, et complètement essoufflé les trois étages. J'ouvris violemment la porte, attrapai une petite boite en cuir et refermai le battant aussi délicatement que me permettait ma panique chronique pour ne pas inquiéter le voisinage. Une fois cela fait, je redescendis les marches, en manquai une et dévalai le reste sur mon illustre postérieur qui aujourd'hui encore s'en souvient. Les fesses endolories, j'eus juste le temps de remarquer l'ascenseur en face de moi avant de me retrouver dans la rue.

Après un glorieux épisode pendant lequel je commandais un taxi, je me retrouvais, passablement décoiffé par l'accélération brutale de mon conducteur à l'heure pour la réception.

La fête du mariage avait lieu dans le jardin de la maison des parents de la fiancée. La cérémonie officielle s'y déroulait, de même que les festivités qui devaient durer de ce début d'après midi jusqu'à tard dans la nuit. J'avais prévu d'y rester le plus longtemps possible, de par mon titre de vieil ami, mais depuis quelques mois je n'avais guère le cœur à la fête, et je résistais très mal aux assauts assourdissant de l'alcool. De plus, je me trouvais tellement stupide tout paré de couleurs que j'espèrai pouvoir m'éclipser rapidement.

« Carol ! Magnifique ton costume ! »

Je me retournai vivement pour découvrir mon ami comme je ne l'avais jamais vu. De joie nous tombâmes l'un dans les bras de l'autre, et je pressai contre moi le corps du marié. Lorsqu'il se dégagea de mon étreinte je pus admirer ses cheveux bruns, coupés très courts dont quelques mèches avaient été teintées de noir et de rouge à la mode d'Alzen. Quant à ses vêtements, il arborait un étrange costume mauve et gris dont les rayures anarchiques seyaient parfaitement avec la coupe désarticulée de sa veste. Comme mon regard était sans doute pesant, il roucoula de plaisir à m'expliquer que c'était sa chère Mina qui lui avait conseillé. Comme il m'interrogea du regard je lui assurai que j'étais... ravi. Pourtant je ne feignais pas mon bonheur de le voir se marier aujourd'hui, même habillé d'un sac à patates.

« Bien sur, je n'aurai jamais raté cela. Et Mattew? Où est-il ?
-En train de s'habiller, c'est notre témoin, mais il a plus angoissé que nous.... j'espère que tu n'es pas vexé que ça soit lui.
-Qu... ? Non, pas du tout. Ca lui donnera peut-être envie de garder ses petites amies plus d'une nuit.
-Tu as raison ! Je suis vraiment content que tu sois là. Bon je vais saluer les autres invités, amuse toi bien, je reviens.
-Bien sur. »

Je le regardais s'en aller avec un petit sourire rêveur. Maxime....

Pendant près de trois heures elle s'était cassé la tête pour choisir le costume qui lui irait le mieux. Où plutôt celui qui ferait le plus rager ses chers parents. Ces derniers jours la tension montait entre eux, surtout avec ce climat de guerre qui planait dans la capitale. Son père avait reçu une garde renforcée pour se rendre à son travail. Elle avait entendu sa mère se plaindre à ses amies (comme à son ordinaire) que la ville était de moins en moins sûr et qu'il faudra bientôt penser à déménager. Quant à son frère les missions ne manquait pas pour lui, de nombreux Karnevaliens était pris en chasse un peu partout. Aurore voyait tous ces évènements comme les présages d'une révolution imminente. Elle en était ravie, bientôt et avec un peu de chance ce satané Empereur serait pendu haut et court, la corde au cou. Chaque nuit elle s'enfuyait de la demeure familiale pour se rendre dans une des auberges d'Amenthalys, les karnevaliens et les révolutionnaires s'y réunissaient en secret pour échafauder un plan qui puisse aider à renverser le pouvoir. Aurore savait qu'ils n'étaient pas les seuls à se réunir ainsi, de nombreux habitants faisant de même et ils étaient de plus en plus nombreux.
En ces mois de révoltes la famille des Moore étaient partis à Alzen pour un mariage qui devait s'y dérouler aujourd'hui même. Ils avaient réservé deux chambres dans un hôtel renommé loin de l'agitation et des traditionnels fêtards. La pensions où séjourné Aurore depuis une semaine était placée dans les quartiers luxueux de la ville. Elle avait passé les sept jours derniers jours entre la piscine et le restaurant, Avec interdiction de sortir hors de murs de cette luxueuse prison.

"- Aurore, es-tu prête ? Nous allons être en retard."

Sans attendre de réponse sa mère ouvrit la porte, au moment où elle posa ses yeux de fouine sur sa fille elle poussa un cri strident. Aurore avait revêtit un jean qu'elle avait acheté à la boutique de la pension (La dernière mode d'Alzen) et un pull bleue marine.

"- Dieux du ciel ! Quel accoutrement ridicule et indigne d'une jeune fille de ton rang, et surtout pour aller à un mariage. Enlève moi ça immédiatement ou j'appelle ton père !
- C'est bien toi qui te plaignait d'aller à des noces de petits bourgeois, Appelle père si ça te chante. Je pense ne pas te fâcher en lui disant avec quel libertinage tu vas voir ce Lord au lieu d'aller rendre visite à ta sœur comme tu lui affirmes."

Mme Moore pinça les lèvres, elle voulu répliquer mais, sa fille reprit de plus belle, feignant la naïveté.

"- Pourquoi rougis-tu mère ? Est-ce interdit ce que tu fais ?"

Elle pouffa devant la réaction de sa génitrice qui tourna les talons et parti sans un mot.
Le cadrant du réveil affiché - 14h30 -, il était déjà tard. Aurore s'empressa de ramasser le coupe-vent qui était par terre, sorti de sa chambre et longea le couloir qui menait au hall de l'hôtel où elle croisa sa mère au bras de son paternel. Elle lui afficha un grand sourire enjôleur et leurs emboita le pas.

Arrivé devant la demeure où se déroulait la fête, Aurore quitta rapidement ses parents pour ce faufiler au milieu des invités. Toutes ces têtes lui étaient pour la plupart complétement inconnues.
Elle arriva devant une rangée de tables qui présentaient un assemblement de mets. Elle se rendit compte qu'elle mourrait de faim. Elle s'empara d'un sandwich au saumon et regarda la masse des convives qui conversaient joyeusement.
Le mariage était encore une des étapes les plus importantes pour des amoureux de bonnes familles. Aurore, elle n'en était pas si éloigné. Ses parents avaient sérieusement envisagés de la marier avec son fiancé dans le mois qui suivrait. Osmanthe et elle avait redoublé d'ingéniosité pour faire capoter leurs plan mais pour l'instant rien n'avait marché et elle courait à la catastrophe.

Toujours dans ses pensées Aurore vit une tête blonde émerger de la masse, elle reconnut tout de suite son propriétaire, sa démarche pataude, son sourire niais, c'était bien lui.

"- Carol ! Heureuse de te voir ici, tu me sauve la vie."