Vladimir avait été clair.
Un plan était leur seule motivation, leur courage était leur seule arme si leur Karnevale venait à faillir. Le troisième et le quatrième mécanisme se trouvaient au nord de la forêt d'Orphée, à l'opposé des deux premiers. Aménagés dans l'écorce même des arbres, ils étaient dissimulés par le feuillage touffu de ces derniers afin qu'on ne pût s'en saisir facilement. De toute manière, si on les avait trouvés, on n'aurait pas compris leur utilité.

Neremsa et Lily travailleraient ensemble cette fois-ci. Le principe était simple : Neremsa devrait couvrir Lily qui se chargerait de détruire le processus informatique permettant d'arrêter le fonctionnement du mécanisme. Les codes qui lui avaient été transmis ne permettant que de court-circuiter le troisième mécanisme, elle ne devait s'occuper que de celui-ci, au risque de déclencher une sécurité dont seul Raziel avait le secret. Attribuer la même série de codes à deux mécanismes voisins aurait été trop facile.

Une seconde équipe serait envoyée pour le quatrième mécanisme. Il était évident que Raziel allait envoyer ses meilleurs soldats afin de contrer cette attaque.

Warren leva la tête. L'arbre sur lequel il avait élu domicile frémit. Au dessus de lui, une tempête semblait se préparer. Malgré lui, un furtif sourire élargit ses lèvres. Les forces de Raziel était-elles en train de chuter, bêtement ? Ou au contraire reprenaient-elles le pouvoir qui leur était soit disant dû et dont elles ne savaient pas encore se servir ?

Le cow-boy s'élança et atterrit sur le sol de la forêt, amortissant sa chute à l'aide de deux rotules bien huilées. Schweigen, qui broutait tranquillement la marée verte qui recouvrait la forêt, se redressa, certainement alerté par le bruit qui venait d'en haut.
Cela faisait maintenant un quart d'heure qu'il patientait et personne n'était encore venu. Les partisans de Vladimir avaient-ils renoncé ? S'étaient-ils faits prendre avant d'atteindre leur cible ?

Une allumette crépita doucement tandis que Warren allumait sa pipe. Il fourra ses mains dans ses proches, fit quelques pas, regard autour de lui. Personne. Même Schweigen semblait s'ennuyer. Il n'allait quand même pas rester ici jusqu'à la tombée de la nuit ! Il fallait s'occuper des vaches et accueillir quelques clients que Franzy avait certainement renvoyés en disant qu'il serait là plus tard. Les chevaux lui manquaient.

Comprenant qu'il allait devoir s'occuper du mécanisme, tout seul, comme un grand, Warren tourna les talons. Tout à coup, deux silhouettes pénétrèrent dans la petite clairière. Il se retourna, prêt à accueillir ses deux invités.

-Ah, c'est vous ? La pêche a été bonne ? Vous venez en griller une 'vec moi ?

Il paraissait déçu en reconnaissant ses collègues.

Ils avalèrent en quelques minutes la distance qui les séparait du lieu où Warren, l'un de leurs collègues, était chargé de protéger l'un des mécanismes d'Alzen. Ce qu'ils ignoraient, c'est qu'il s'agissait du dernier mécanisme encore en état de fonctionner.

Lorsqu'ils arrivèrent, ils constatèrent que Warren était seul. Peut-être avait-il déjà vaincu les karnevaliens qui étaient venus détruire le mécanisme ? Peut probable, le lieu ne semblait pas avoir été le théâtre d'un affrontement. Cela signifiait donc que personne n'était encore venu se dresser face à lui. Lou ne savait pas s'il s'agissait là ou non d'un avantage.

Comme pour accompagner les paroles que venait de prononcer Andy, Lou se dressa à ses côtés, son regard sombre figé sur Warren, alors qu'une bourrasque commençait à souffler dans les arbres, signe qu'ils n'étaient vraiment pas là pour plaisanter.

Quelle situation comique, à bien y regarder...

"Warren, j'aurais préféré que l'on se revoit dans de meilleures circonstances, mais je ne peux que te conseiller de coopérer."

La trahison devenait décidément monnaie courante, dans les parages. Tantôt les sbires de Vladimir se ravisaient, tantôt ceux de Raziel retournaient leur veste.
Il n'aurait su dire quelle était la meilleure solution. Dans tout les cas, la chose la plus logique à faire était de rester en vie. Sachant qu'Alzen était en train de leur pisser des lames de rasoir sur la gueule, mettre en sécurité le dernier mécanisme vivant ne servait à rien.

Les remarques de ses compères le laissèrent impassible ; de jeunes gamins sans expérience qui croient qu'à deux, on peut vaincre le monde entier.

-A voir vos tronches vous avez déjà eu le vôtre, vous allez quand même m'en laisser un petit bout, n'est-ce pas ?

Schweigen se redressa aussitôt, poussant un hennissement de terreur. Alerté, son maître se retourna, lâchant son cigare. Des fragments de métal virent s'écraser autour d'eux. Schweigen s'éloigna, croyant se mettre en sécurité à l'orée de la clairière.
Warren leva la tête.

Eh merde.

Tout se passa en un éclair. Un éclat de métal aussi gros qu'un obus d'antan trancha airs et feuillages en fonçant dans leur direction. La réaction de Warren fut immédiate. Une bulle invisible naquit de ses mains et entra en collision comme un bouclier contre le fragment qui allait les déchirer.
L'arme parfaite fut envoyée avec haine et terreur en direction du mécanisme lové dans l'écorce comme dans les bras d'une mère. S'enfonça dedans comme du dans du beurre. Un éclair. Deux éclairs. L'arbre explosa dans une triste symphonie de flammes.

Warren écrasa la pointe de son cigare dans l'herbe avant de siffler son cheval (qui broute, n'est-ce pas). Il en saisit les rennes avant de le chevaucher avec la rapidité de l'habitude. Un regard en direction de ses acolytes. Ils avaient tout compris.

-Bon alors, on se tire et on s'fait une bouffe ? J'ai des vaches à traire, moi !